Auguste villiers

Auguste VILLIERS DE L’ISLE-ADAM Le réalisme dans la peine de mort (1885)

Or, cette guillotine tombée, sournoise, oblique, dépourvue de l’indispensable mesure de solennité qui est inhérente à cequ’elle ose, a simplement l’air d’une embûche placée sur un chemin. Je n’y reconnais que le talion social de la mort, c’est-à-dire l’équivalent de l’instrument du crime.
Bref, on va se vengerici, c’est-à-dire équilibrer le meurtre par le meurtre, – voilà tout, c’est-à-dire commettre un nouveau meurtre sur le prisonnier ligoté qui va sortir et que nous guettons pour l’égorger à son tour. Celava se passer en famille. Mais, encore une fois, c’est méconnaître ce qui peut seul conférer le droit de tuer dans cet esprit-là, de cette façon-là.
L’ombre que projette cette lame terne sur nospâleurs nous donne à tous des airs de complices : pour peu qu’on y touche encore d’une ligne, cela va sentir l’assassinat ! Au nom de tout sens commun, il faut exhausser, à hauteur acceptable, notrebillot national. Le devoir de l’État est d’exiger que l’acte suprême de sa justice se manifeste sous des dehors mieux séants. Et puis, s’il faut tout avouer, la Loi, pour sa dignité même, qui résume cellede tous, n’a pas à traiter avec tant de révoltant dédain cette forme humaine qui nous est commune avec le condamné et en France, définitivement, on ne peut saigner ainsi, à ras de terre, que lespourceaux ! La justice a l’air de parler argot, devant les dalles ; elle ne dit pas : Ici l’on tue ; mais : Ici l’on rogne. Que signifient ces deux cyniques ressorts à boudins qui amortissent sottement lebruit grave du couteau ? Pourquoi sembler craindre qu’on l’entende ? – Ah ! mieux vaudrait abolir tout à fait cette vieille loi que d’en travestir ainsi la manifestation ! Ou restituons à la Justicel’Échafaud dans toute son horreur salubre et sacrée, ou reléguons à l’abattoir, sans autres atermoiements homicides, cette guillotine déchue et mauvaise, qui humilie la nation, écœure et scandalise…