Dom juan

Texte : ACTE IV, scène 6 – D. JUAN, D. ELVIRE, RAGOTIN, SGANARELLE.

RAGOTIN. Monsieur, voicy une Dame voilée qui vient vous parler.
D. JUAN. Que pourroit-ce estre ?

SGANARELLE. Il fautvoir.

D. ELVIRE. Ne soyez point surpris, D. Juan, de me voir à cette heure et dans cét équipage. C’est un motif pressant qui m’oblige à cette visite, et ce que j’ay à vous dire ne veut point du toutde retardement. Je ne viens point icy pleine de ce couroux que j’ay tantost fait éclater, et vous me voyez bien changée de ce que j’estois ce matin. Ce n’est plus cette D. Elvire qui faisoit des voeuxcontre vous, et dont l’ame irritée ne jettoit que menaces, et ne respiroit que vangeance. Le Ciel a banny de mon ame toutes ces indignes ardeurs que je sentois pour vous, tous ces transportstumultueux d’un attachement criminel, tous ces honteux emportemens d’un amour terrestre et grossier, et il n’a laissé dans mon coeur pour vous qu’une flâme épurée de tout le commerce des sens, une tendressetoute sainte, un amour détaché de tout, qui n’agit point pour soy, et ne se met en peine que de vostre interest.

D. JUAN à Sganarelle. Tu pleures, je pense.

SGANARELLE. Pardonnez-moy.

D.ELVIRE. C’est ce parfait et pur amour qui me conduit icy pour vostre bien, pour vous faire part d’un avis du Ciel, et tâcher de vous retirer du precipice où vous courez. Oüy, D. Juan, je sçay tous lesdéreglemens de vostre vie, et ce mesme Ciel qui m’a touché le coeur, et fait jetter les yeux sur les égaremens de ma conduite, m’a inspiré de vous venir trouver, et de vous dire de sa part que vosoffences ont épuisé sa misericorde, que sa colere redoutable est preste de tomber sur vous, qu’il est en vous de l’éviter par un prompt repentir, et que peut-estre vous n’avez pas encore un jour à vouspouvoir soustraire au plus grand de tous les malheurs. Pour moy, je ne tiens plus à vous par aucun attachement du monde. Je suis revenuë, graces au Ciel, de toutes mes foles pensées, ma retraite est…