Lettre 97, lettres persanes, montesquieu

Lettre 97

Usbek à Hassein, dervis de la montagne de Jaron.

O toi, sage dervis, dont l’esprit curieux brille de tant de connaissances, écoute ce que je vais te dire.

Il y a ici desphilosophes qui, à la vérité, n’ont point atteint jusqu’au faîte de la sagesse orientale: ils n’ont point été ravis jusqu’au trône lumineux; ils n’ont ni entendu les paroles ineffables dont les concertsdes anges retentissent, ni senti les formidables accès d’une fureur divine; mais, laissés à eux-mêmes, privés des saintes merveilles, ils suivent dans le silence les traces de la raison humaine.Tu ne saurais croire jusqu’où ce guide les a conduits. Ils ont débrouillé le chaos et ont expliqué, par une mécanique simple, l’ordre de l’architecture divine. L’auteur de la nature a donné dumouvement à la matière: il n’en a pas fallu davantage pour produire cette prodigieuse variété d’effets que nous voyons dans l’univers.

Que les législateurs ordinaires nous proposent des lois pour réglerles sociétés des hommes; des lois aussi sujettes au changement que l’esprit de ceux qui les proposent, et des peuples qui les observent: ceux-ci ne nous parlent que des lois générales, immuables,éternelles, qui s’observent sans aucune exception, avec un ordre, une régularité et une promptitude infinie, dans l’immensité des espaces.

Et que crois-tu, homme divin, que soient ces lois? Tu t’imaginespeut-être qu’entrant dans le conseil de l’Eternel, tu vas être étonné par la sublimité des mystères; tu renonces par avance à comprendre, tu ne te proposes que d’admirer.

Mais tu changeras bientôtde pensée: elles n’éblouissent point par un faux respect; leur simplicité les a fait longtemps méconnaître, et ce n’est qu’après bien des réflexions qu’on en a vu toute la fécondité et toutel’étendue.

La première est que tout corps tend à décrire une ligne droite, à moins qu’il ne rencontre quelque obstacle qui l’en détourne; et la seconde, qui n’en est qu’une suite, c’est que tout corps…