Y’A-T-IL UNE VERTU DE LA RICHESSE ?
Nous avons coutume de considérer la richesse comme la possession d’une quantité importante de biens d’une grande valeur, en nature comme en argent, d’en faire le synonyme du luxe, de l’ostentatoire, de l’abondance. Par conséquent, la vertu, que nous définissons souvent comme une valeur morale intrinsèque à notre conception de la sagesse et de la raison, etdans laquelle nous plaçons la générosité, la tempérance, le courage, la justice ou l’humilité, nous apparaît comme l’exact opposé de la richesse. La vertu, force morale avec laquelle l’être humain tend au bien, ne peut se trouver dans la richesse, qui tend bien trop souvent à l’assouvissement des désirs, au vice, à une conduite déraisonnable et à des actes qui ne sont pas toujours pensés à leurjuste mesure.
Cependant, il existe des richesses morales, et dans ce cas on ne peut tout à faire séparer la notion de vertu de cette notion de «richesse morale» à l’intérieur de laquelle nous plaçons souvent les mêmes dispositions à accomplir des actes moraux à la différence que les richesses morales sont données et naturelles par rapport à une vertu qu’on ne cesse d’acquérir et qui sous-entend,le plus souvent, une contrainte et un effort de volonté.
De même, la richesse ne s’amasse pas ni ne sert forcément à assouvir des actes immoraux et répréhensibles: la richesse permet, dans la cadre d’une démocratie, le principe d’une harmonie naturelle des intérêts en permettant l’accès de chacun à des conditions de vie correctes, à la culture ou bien à l’éducation et permet entre autres des’entourer de belles choses; en les partageant, nous pouvons nous sentir enrichis d’un avis extérieur. La richesse vient donc également du niveau de savoir et de culture, elle n’est pas exclusivement issue des biens matériels. Ainsi, la vertu n’est pas seulement, dans ce contexte, le fait d’agir et de posséder des qualités qui font l’objet d’une louange et d’une approbation morale, mais aussi lefait d’agir en vue du développement de l’être humain au sein d’une cadre particulier, celui d’une société. Enfin, remarquons que la richesse se gagne: or, le mérite est une vertu. Le travail serait-il alors la preuve qu’une vertu de la richesse existe ?
Ainsi, y-a-t-il forcément une incompatibilité totale entre vertu et richesse ? La richesse ne conduit-elle qu’au vice, ou peut-elle être unprincipe actif de vertu ?
Au premier abord, vertu et richesse semblent tout à fait incompatibles: en effet, la richesse est assimilée à ce qui est produit et peut être vendu, contrairement à la vertu qui est une qualité morale non quantifiable en termes monétaires. De plus, la richesse s’applique au monde quotidien, tandis que la vertu appartient plus à un idéal moral vers lequel nous tendons: larichesse apparaît plus triviale que la vertu. Elles n’évoluent pas dans les même sphères: l’une évolue dans une sphère économique, l’une dans une sphère morale. Comment pourrait-on concilier les deux, voire même trouver de l’une dans l’autre ? Jean-Baptiste Say explique dans ses Cours qu’on peut définir la richesse comme l’ensemble des ressources matérielles d’un pays, qui sont consommables etéchangeables: elle ne peut donc être séparée de la notion d’argent. Dans le sens courant, d’ailleurs, la richesse est souvent vue comme la possession d’une quantité importante d’argent nous permettant un accès plus ou moins vaste à des services, produits, suivant nos disponibilités financières: c’est le pouvoir d’achat. Dans le modèle capitaliste, cet argent doit être «travaillé » afin d’accumuler duprofit qui permettra aux richesses d’être décuplées: la richesse engendre la richesse, et dans cette quête, seul le profit nous intéresse, celui-ci étant atteint par le biais de la spéculation, la circulation et l’échange de biens et des services. Ce qui est visé, c’est un accroissement infini du capital qui peut cependant vite dériver vers la démesure d’une exploitation des hommes et des…