Pascal, fragments d’un traité du vide

Pascal, Fragments D’Un Traité Du Vide

« N’est-ce pas là traiter indignement la raison de l’homme, et la mettre en parallèle avec l’instinct des animaux, puisqu’on en ôtela principale différence, qui consiste en ce que les effets du raisonnement augmentent sans cesse, au lieu que l’instinct demeure toujours dans un état égal ? Les ruchesdes abeilles étaient aussi bien mesurées il y a mille ans qu’aujourd’hui, et chacune d’elles forme cet hexagone aussi exactement la première fois que la dernière. Il en estde même de tout ce que les animaux produisent par ce mouvement occulte. La nature les instruit à mesure que la nécessité les presse; mais cette science fragile se perd avecles besoins qu’ils en ont: comme ils la reçoivent sans étude, ils n’ont pas le bonheur de la conserver; et toutes les fois qu’elle leur est donnée, elle leur est nouvelle,puisque, la nature n’ayant pour objet que de maintenir les animaux dans un ordre de perfection bornée, elle leur inspire cette science nécessaire, toujours égale, de peurqu’ils ne tombent dans le dépérissement, et ne permet pas qu’ils y ajoutent, de peur qu’ils ne passent les limites qu’elle leur a prescrites. Il n’en est pas de même del’homme, qui n’est produit que pour l’infinité. Il est dans l’ignorance au premier âge de sa vie; mais il s’instruit sans cesse dans son pro grès: car il tire avantage nonseulement de sa propre expérience, mais encore de celle de ses prédécesseurs, parce qu’il garde toujours dans sa mémoire les connaissances qu’il s’est une fois acquises, etque celles des anciens lui sont toujours présentes dans les livres qu’ils en ont laissés. Et comme il conserve ces connaissances, il peut aussi les augmenter facilement »