Indépendance de la justice

Exposé de Mr. Bernard Bertosse, Juge fédéral fait devant l’assemblée générale de l’ASM le 5 novembre 2005 à Bellinzona sur le thème SEPARATION DES POUVOIRS : L’INDEPENDANCE DES JUGES EN DANGER ? Il est évidemment exclu, en quelques minutes, de traiter un thème aussi vaste ( la bibliographie de l’ouvrage de Regina Diener publié sur ce sujet en 2001 ne comporte pas moins de seize pages ! ) et, desurcroît récurrent ( le rapport du président de l’ASM sur l’exercice 1996 portait déjà sur cette question , voir PJA 1997 p. 1053 ss.). Je dois me limiter dès lors à quelques réflexions, tirées essentiellement de l’actualité politique et judiciaire. Remarque préliminaire Contrairement à une vision réductrice du problème, l’indépendance des juges ne se limite pas aux conflits réels ou potentielsqui peuvent opposer la justice aux autres pouvoirs. Les dangers auxquels cette indépendance est confrontée sont en effet de deux ordres : – les dangers individuels ou personnels – les dangers structurels ou institutionnels Si les seconds sont seuls liés à la séparation des pouvoirs – thème de cette journée – les premiers méritent néanmoins d’être brièvement rappelés, ne serait-ce que pour mémoire.Les juges ont en effet quelque propension à occulter ces risques, qui ne sont pas toujours, il est vrai, à leur honneur.

Les dangers individuels ou personnels L’indépendance des juges est en danger lorsque les magistrats eux-mêmes se laissent influencer, dans leurs décisions, par des critères étrangers à la juste application de la loi. Ainsi par exemple : – la sensibilité excessive à lacritique ou à la flatterie : ne pas faire de vagues,ne pas risquer de déplaire, – le manque de courage face à des menaces ou à des plaintes, – l’assujettissement à des groupes d’intérêts : milieux professionnels, partis politiques, groupements religieux, – la recherche d’avantages économiques : corruption, dessein de plaire à des pourvoyeurs d’arbitrages bien rémunérés. Ces dangers existentindépendamment du mode d’élection ou de nomination ou d’une ingérence excessive des autres pouvoirs dans l’administration de la justice.

L’indépendance, c’est d’abord  » dans la tête  » et il serait heureux de s’en souvenir au moment de désigner les juges.

Les dangers structurels ou institutionnels Ces dangers sont directement liés à la structure de l’Etat et à la répartition des pouvoirs. Pour enanalyser la juste portée, il n’est pas inutile de rappeler que, dans nos démocraties, le pouvoir suprême appartient au peuple qui, en tout ou en partie, en délègue l’exercice non pas à une seule autorité, mais à trois types d’autorités distinctes : législatives, exécutives et judiciaires. De ce constat fondamental découlent en effet un certain nombre de conséquences qui doivent servir de cadre ànotre réflexion sur l’indépendance : 1) Rendre la justice, c’est exercer un pouvoir. 1.1.) Cet exercice suppose une légitimité, c’est-à-dire une nomination ou une élection par le peuple ou par une autorité à laquelle le peuple a valablement délégué cette compétence. On désigne souvent le mode d’élection ou de nomination des juges comme de nature à engendrer de grands risques pour l’indépendance demagistrats judiciaires. Ces risques existent en effet, surtout lorsque l’autorité de désignation est le pouvoir exécutif. Il est cependant inutile de leur attribuer une importance excessive. J’ai exercé des fonctions comme élu du peuple, du parlement ou même du gouvernement, sans jamais avoir le sentiment d’être atteint dans mon indépendance. Ces dangers sont de surcroît inévitables,car il nesaurait y avoir de légitimité autoproclamée. 1.2.) Cette légitimité est limitée dans le temps. Le système de l’élection à vie, outre qu’il n’est pas pratiqué chez nous et qu’il n’a guère de chances de l’être, ne garantit pas nécessairement une plus grande indépendance des juges. Il suffit à cet égard de se référer à la désignation des juges de la Cour suprême des Etats-Unis. Pour que l’élection,…