Désobéir peut-il être un devoir?
Lors de la Seconde Guerre Mondiale, en juillet 1942, le régime nazi organise l’opération « Vent Printanier » : une énorme rafle de Juifs dans plusieurs pays européens. En France, le régime de Vichy mobilise la police française pour participer à l’opération: à Paris, 9 000 policiers et gendarmes participeront à cette rafle. Comment devons-nous réagir vis à vis de ces personnes qui ont participé augénocide juif? Auraient-ils dû désobéir et suivre leurs valeurs morales pour empêcher le meurtre organisé d’innocents? Ou au contraire, ont-ils eu raison de suivre les ordres que leurs ont donnés leurs supérieurs hiérarchiques, de faire leur devoir? En d’autres termes, désobéir peut-il être un devoir?
Dans un premier temps, nous devons nous interroger sur la signification du « devoir ». Nousavons, par exemple, le devoir de respecter la vie d’autrui, mais qu’est-ce que cela signifie ? D’abord, le devoir n’est pas une nécessité. Alors qu’il n’est pas possible de ne pas respirer, il est possible de ne pas respecter la vie d’autrui : il y a bel et bien des assassins. Ensuite, le devoir ne se fonde pas sur mes envies ou mon désir, il peut même fortement les contrarier. Que ce soitinconsciemment (dans le rêve, par exemple), ou consciemment, même si c’est plus difficile à avouer, il peut bien m’arriver de souhaiter la mort de quelqu’un, ce qui va à l’encontre de mon devoir. Le devoir m’indique que je suis lié à un ordre qui me transcende, qui ne relève pas de mes libres choix personnels, et qui néanmoins s’impose intimement à moi, qui est constitutif de ma personne. Par ailleurs,on appelle « impératif » toute décision de la volonté prenant la forme d’une obligation, constituant donc quelque chose que l’on doit faire. Mais on distingue deux types d’impératifs. Certains sont liés à une fin particulière, et n’ont de valeur que par rapport à cette fin (si tu veux rester en bonne santé, tu dois éviter de fumer). Cette première sorte est l’impératif hypothétique, puisquel’impératif (tu dois éviter de fumer) ne se justifie que dans le cadre d’une certaine hypothèse (si tu veux rester en bonne santé). Il ne s’agit pas alors de morale, mais de ce Kant appelle de la prudence. D’autres impératifs sont inconditionnels, ce qui signifie qu’ils ne dépendent pas de telle ou telle hypothèse, mais sont une exigence absolue de la liberté. On parle alors d’impératif catégorique. Quand »Tu ne tueras pas » est justifié par « si tu ne veux pas aller en prison », il s’agit d’un simple précepte de prudence, donc d’un impératif hypothétique. Si par contre il se justifie par le respect inconditionnel de la vie d’autrui, il ne dépend alors d’aucun « si », c’est un impératif catégorique. Quand la conduite est simplement justifiée par la prudence, il ne s’agit pas de liberté, on n’est pasalors dans l’ordre de la moralité. Ainsi, on utilise plutôt le terme de devoir pour ce qui relève d’un impératif catégorique, autrement dit pour ce que l’on doit faire, quelle que soit la situation. Ensuite, on peut distinguer deux types d’impératifs : d’un côté le devoir social qui correspond aux pressions exercées par le (ou les) groupe(s) dans lequel nous vivons, et dont le but essentiel est defonder les conditions nécessaires à la survie du groupe, à commencer par l’assurance de sa cohésion. Ce devoir nous dicte donc de respecter les structures de ces groupes, en obéissant à des lois qui nous permettent de vivre en communauté. D’un autre côté, il y a en nous l’élan profond de la vie, essentiellement dynamique, qui nous lie aux autres, indépendamment de toute institution humaine. Lesdeux peuvent éventuellement entrer en conflit, notamment à cause de la rigidité de l’impératif dicté par la société. ? Ainsi, Gandhi, Martin Luther King, Nelson Mandela, Charles de Gaulle… voici autant de figures qui ont marqué le XXème siècle par des actes de désobéissance qui s’insurgeaient contre des lois considérées comme injustes, ne respectant pas leurs devoirs vis à vis de la société. La…