Fable

Angèle Kremer Marietti

Auguste Comte et l’éthique de l’avenir*

1. Problèmes épistémologiques
2. L’apparition de la morale comme science positive
3. De la morale à la politique

Contrairement à ce que pouvait laisser croire la réaction des dissidents du positivisme comtien, la logique interne du système de Comte n’a pas été mise en péril par l’inauguration de la méthodedite « subjective », qui allait de pair avec la considération de la sociologie, science humaine, sociale et historique, appelée à révolutionner le système des sciences positives. La fondation de la sociologie s’est complétée par la fondation de la morale. Les deux opérations fondatrices n’avaient pu être possibles qu’eu égard au critère d’une loi historique qui eut le mérite de faire basculer leréférent fictionnel de l’absolu qui régnait sur la philosophie.

1. Problèmes épistémologiques

La loi des trois états devait en effet être l’expression du rapport des mentalités et des systèmes sociaux qui les produisent. Son lieu épistémique étant la sociologie dynamique, à travers elle Comte voulait établir une histoire humaine globale, démontrant l’impact des différents systèmes sociaux et deleurs logiques propres. Comte mit en évidence les logiques originaires créées dès l’état théologique. Ainsi : 1. le fétichisme créa la logique des sentiments ; 2. le polythéisme généra la logique des images ; 3. au monothéisme est due la logique des signes, incluant le noyau de toutes les sémiotiques, linguistique, arithmétique et algébrique [1]. Les mentalités étaient donc étroitement liées auxinstitutions de signes et aux systèmes sociaux [2]. La logique positive consiste à faire concourir les trois logiques originaires : « combiner les trois procédés généraux pour que chaque mot rappelle, autant que possible, une image, et chaque image un sentiment » (SPP, II, 241). D’où chez Comte le souci constant de mettre en exacte corrélation rigueur philosophique et rigueur littéraire. Avec uneattention toute particulière pour les néologismes, Comte consacra de nombreuses notes du Cours de philosophie positive au langage scientifique ainsi d’ailleurs qu’à sa propre terminologie philosophique. Dans cette voie, il faut faire état de l’important chapitre sur le langage dans le tome II du Système de politique positive [3], définissant le signe comme « la liaison constante entre une influenceobjective et une impression subjective » (SPP, II, 222) et caractérisant le langage, « institution fondamentale », par sa destination sociale (SPP, II, 241).

Le Tableau des Quinze Lois Universelles[4], fondées sur les théories statique et dynamique de l’entendement, figure ce qui représentait pour Comte à cette époque sa « philosophie première » [5]. Ce sont ces mêmes lois d’épistémologie générale queComte fait intervenir dans l’élaboration du positivisme. Le tableau répertorie trois groupes de lois universelles : un groupe de lois objectives et subjectives, un groupe de lois subjectives, un groupe de lois objectives. Dans le premier, les lois s’appliquent à toute recherche scientifique : lois de l’hypothèse la plus simple, de l’immuabilité de la nature, de la modification des phénomènes surle fond inaltérable de l’ordre universel. Le deuxième groupe est composé de lois universelles subjectives puisqu’ elles concernent directement la statique et la dynamique de l’entendement, qui émanent de la sociologie. En effet, suivant les lois de structure de l’esprit, la statique enseigne ce qui suit : 1° ce qui est subjectif ou humain se subordonne à ce qui est objectif ou mondain ; 2° lesimages intérieures n’ont ni la même vivacité ni la même netteté que les impressions extérieures ; 3° l’image normale l’emporte sur les images de l’agitation cérébrale. De même, suivant la loi historique des trois états, la dynamique observe : 1° la succession des états (fictif, abstrait, positif) ; 2° la progression de l’activité (conquérante, défensive, industrielle) ; 3° la nature de la…