Mondialisation

La mondialisation est-elle une machine à appauvrir ?

La mondialisation est-elle une machine à appauvrir ? Dans les pays riches, la mondialisation est perçue comme une machine à produire du moins-disant social. L’idée d’un inéluctable nivellement par le bas est cependant discutable.

La mondialisation engendre-t-elle un nivellement par le bas des niveaux de vie ? Cette question hante le débatpublic des pays avancés. Détracteurs et défenseurs de la mondialisation admettent souvent une même équation : dans un monde de libre circulation des biens et des capitaux, les niveaux de rémunération et de protection sociale des pays avancés ne sont plus tenables face aux conditions en vigueur chez leurs concurrents. Le débat ne porte finalement que sur le choix de la variable dépendante dumodèle : pour les uns, le niveau de vie du Nord devant être préservé à tout prix, il faut réintroduire des entraves au libre-échange ; pour les autres, la mondialisation étant irréversible, les salariés du Nord doivent se faire une raison, et accepter de travailler plus pour moins.

De multiples réponses possibles

Aussi polarisés qu’ils puissent paraître, ces raisonnements reposent sur une mêmeperception des forces à l’œuvre dans la mondialisation : la loi d’airain de la concurrence mondiale pousserait inéluctablement à la convergence des économies. Les niveaux de rémunération et de droits sociaux seraient amenés à s’harmoniser, nécessairement à la baisse, les firmes à adopter les mêmes modes de gestion et d’organisation et les sociétés à réformer en profondeur leurs institutions pour «s’adapter à la mondialisation ». Or, l’idée d’une convergence inévitable des économies et des sociétés ne va pas de soi (1), suscitant même d’intenses débats.
Avec son équipe du MIT, Suzanne Berger a visité, pendant cinq ans, 500 entreprises appartenant à des secteurs aussi exposés à la concurrence internationale que l’informatique, le textile et l’automobile (2). Ils ont pu observer à quel point lesconditions de production ont été bouleversées par la « modularisation », qui permet de découper les processus de fabrication en séquences indépendantes pouvant être réparties aux quatre coins de la planète. Pourtant, il existe de multiples manières de répondre à cette nouvelle donne. Alors que l’entreprise informatique Dell sous-traite l’intégralité de sa fabrication, souvent auprès de firmestaïwanaises, Sony et Sharp conservent une grosse part de la production dans leurs usines japonaises, misant sur leur capacité d’innovation pour compenser des coûts salariaux plus élevés. De même, alors que les emplois du textile semblent inexorablement migrer vers la Chine, les entreprises du nord de l’Italie continuent de produire essentiellement au pays : leur réussite repose tout autant sur lamain-d’œuvre qualifiée qu’elles y emploient, que sur leur proximité avec Milan, capitale de la mode, qui leur permet de s’aligner plus rapidement sur les nouvelles tendances.
La diversité des modèles d’organisation traduit l’héritage singulier de chaque firme, cette longue accumulation de décisions managériales, de savoir-faire et d’expériences de travail, qui contraint les choix de l’entreprise toutautant qu’elle lui permet d’imaginer des solutions originales (3). Cette pluralité est cependant mise à l’épreuve périodiquement par la concurrence à l’œuvre dans chaque secteur. Elle est également menacée par les mécanismes du capitalisme financier. Les analyses en termes de capitalisme patrimonial soulignent à quel point la gestion des firmes peut être soumise à des normes comptables fortéloignées des nécessités industrielles, voire aux engouements qui saisissent périodiquement les marchés financiers (4). Un faisceau de travaux commence à mettre en évidence les logiques d’imitation qui se répandent dans les groupes industriels dès lors qu’ils doivent satisfaire des opérateurs financiers eux-mêmes sujets à des comportements moutonniers (5). « Une firme efficace est une firme qui…