Géomark limites

Marie-Anne Polo de Beaulieu
Enseignes, cris, textes. Les pratiques publicitaires au Moyen à?ge
Le Temps des médias n°2, printemps 2004, p.8-16.
• Les cris des villes et des villages
• Des « textes publicitaires »
Le cadre socio-économique propre à la période médiévale doit être pris en compte pour comprendre la diversité des pratiques publicitaires et leur impact sur le marché et lesconsommateurs. La fabrication et la vente des produits dépendaient alors étroitement de règlements édictés par les guildes, visant à garantir la qualité des productions, éviter la concurrence déloyale et assurer au consommateur le « juste » prix. Dans une société majoritairement illettrée, les pratiques publicitaires privilégiaient le cri et l’image aux dépens de l’écrit. Les « cris de Paris » vantaientla qualité de denrées d’une très grande diversité et de services. Les enseignes d’auberges et d’échoppes offraient au regard un code visuel accessible au plus grand nombre ; tandis que les textes annonçant un défrichement, l’arrivée d’un instituteur ou l’ouverture d’une université étaient relayés par une diffusion orale. Il est cependant impossible de mesurer l’impact économique de ces pratiquespublicitaires, mais leur efficacité est attestée par de nombreuses sources narratives et juridiques.
« Les pratiques publicitaires au Moyen à‚ge » : le sujet n’est guère facile à aborder pour un médiéviste ! Partons d’une définition assez large de la publicité : l’ensemble des activités destinées à faire connaître un produit, une marque de fabrication, à inciter le public à acheter leditproduit ou à utiliser tel ou tel service. Or, au Moyen à‚ge, il n’est pas toujours aisé de distinguer la publicité de la propagande politique et religieuse, de la circulation des nouvelles, des annonces officielles ou privées dans une société encore fortement marquée au sceau de l’oralité. De plus, cette définition ne peut prendre sens dans la durée historique qu’à condition d’avoir bien à l’esprit lesspécificités de l’époque médiévale, marquées notamment, sur le plan socio-économique, par l’emprise des corporations, les prérogatives du roi, celles du seigneur ou de la commune. En rappeler brièvement quelques traits permettra de mieux comprendre les pratiques visuelles, sonores, textuelles, caractéristiques du Moyen à‚ge occidental.
Un commerce très encadré
Concept forgé au xviiie siècle, lanotion de liberté du commerce et de l’artisanat est totalement étrangère à l’Occident médiéval. Le seigneur, dans le cadre de son pouvoir, réglemente la production et le commerce, comme toutes les autres activités de la seigneurie. En ville, il peut le céder – moyennant finance – à la commune. Accaparée par les marchands, elle exerce un contrôle du commerce plus strict encore que celui duseigneur. En outre, les corporations édictent des règlements qui encadrent tous les aspects de la production artisanale et des échanges. Ils ne fixent jamais les prix de vente, mais interdisent les ententes entre maîtres de métiers pour les faire grimper ou descendre. Les règlements des métiers tendent également à garantir aux consommateurs des denrées saines, des produits « loyaux », dont il «marchandera » le prix selon la loi du marché, avec des commerçants et des artisans qui se concurrencent seulement par la qualité de leur travail et la modération de leurs prix.
Les seigneurs conservent des avantages commerciaux non négligeables, comme le banvin : le droit de vendre le premier le fruit de leurs vendanges, dont le prix s’imposera à tous. En cas de disette, des greniers à blé sont gérés pardes communes, des confréries ou des établissements religieux, afin d’éviter la flambée des prix ; mais leur action reste peu efficace en période crise. De plus, la forte emprise religieuse sur la société médiévale apparaît dans les notions de « juste prix » et d’« économie bonne et loyale », leitmotiv des réglementations. Le « juste prix » est celui qui permet à l’artisan ou au commerçant de…