La santé

LA SANTÉ

On peut vivre sans avoir autre chose qu’une vague idée de ce qu’est la santé. Le patient n’a pas besoin d’expliciter le terme, ce qu’il ressent lui suffit : la santé, c’est l’absence de maladie, c’est l’absence de souffrance. Quant au le médecin, son quotidien est suffisamment riche d’expériences apparemment univoques pour qu’il n’éprouve pas le besoin d’approfondir le concept au-delàde ce qu’il vit. Toutefois, presque au terme de ce travail, à la lumière de ce que j’ai écrit, il m’apparaît utile de se pencher sur le mot, d’en dégager les éléments constitutifs, pour dépasser le simple ressenti et en faire un concept sur lequel on pourra travailler. 1. Des définitions pour (re)commencer René Leriche 1 : « La santé, c’est la vie dans le silence des organes 2. » Cette définitionappelle trois commentaires. Le premier est le suivant : la santé est définie comme une absence… celle du déplaisir ou de la douleur, mais aussi celle du plaisir. La santé apparaît comme la constatation d’une indifférence entre deux éléments de l’humain : les viscères qui composent le corps et la conscience qui l’habite. Nous sommes en face d’une idée en creux 3. Le deuxième concerne le sens quel’on peut donner au terme « organe », que l’on imagine volontiers ici comme étant la seule juxtaposition du matériel de l’humain : ce que l’on en voit ou touche à l’extérieur et à l’intérieur. La psyché semble oubliée, ce qui est regrettable, car d’une part elle est susceptible de souffrir par et pour elle-même ; ensuite, sa souffrance peut retentir sur les organes ; enfin, elle est la règle quiapprécie si le bruit de l’organe est ou non maladie. Le troisième pourrait être formulé ainsi : la santé est une affaire interne qui ne concerne que l’individu lui-même. C’est l’individu, et lui seul, qui décide lorsqu’il n’est plus en état de santé. Leriche se satisfait de la conscience que nous avons de nous-mêmes : ma santé est ce que je ressens, ou plutôt ce que je ne ressens pas. C’est à l’inversede ce que nous dit la médecine qui, actuellement, insiste sur le fait que la conscience que nous avons de notre santé est bornée par nos limites à percevoir le fonctionnement de notre propre corps. L’idéologie dominante nous répète à l’envi que se sentir en bonne santé ne préjuge en rien de ce que nos organes complotent, voire ont déjà commencé à réaliser, c’est sûr. Pour l’OMS : « La santé estun état complet de bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité. » Nous ne sommes plus dans le même registre : être en état de santé, c’est être bien. Le silence, qui ne demande rien pour exister, est remplacé par une idée qui se déploie dans le moule des présupposés personnels et sociaux de ce qu’est le bien-être. La santé, qui étaitun état personnel, devient un concept qui se construit à l’union de notre propre ressenti et de la norme sociale.
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Né en 1879 à Roanne, mort en 1955 à Cassis, ce chirurgien fut une des grandes figures de la médecine du début du XXe siècle. 2 Je n’ai pas retrouvé le texte d’où était extraite cette définition que l’on trouve partout. 3 Qui entend le silence ? Quelques mensonges de la médecine,ch. 11, « La santé », page 1/7 Pascal GILBERT (http://pascalgilbert.ouvaton.org/)

Fondée sur l’idée de la neutralité, la définition de Leriche aspirait à une certaine objectivité, fondée sur le bien-être. Celle de l’OMS introduit la relativité, la dynamique historique de l’environnement 4. Accepter cette définition, c’est reconnaître que la santé se positionne aussi par rapport à une normeexterne à l’individu. La reconnaissance de cet état de fait est positive car elle correspond à une réalité, mais il faut qu’elle soit accompagnée d’une prise de conscience critique. Il serait hasardeux de ne pas tirer les conséquences du fait que, officiellement, toutes les normes du bien-être ne nous appartiennent pas. On ne peut éluder sans risques la question suivante : cette image de la santé…