Eloge funèbre de nathalie sarraute

Éloge funèbre de Nathalie Sarraute

Famille, amis, connaissances, inconnus,

Nous voici réunis pour un dernier au revoir à celle qui fut à la fois une mère, un écrivain ou encore une amie, mais avant tout une femme exceptionnelle : Nathalie Sarraute. Son nom restera gravé dans nos mémoires à tous, cela ne fait aucun doute. Alors, puisque ce souvenir est notre lien commun aujourd’hui,pourquoi ne pas s’en remémorer ensemble ? Comme elle le disait si bien, « c’est faux, un portrait. On construit quelque chose autour d’une apparence, on résume la vie qui est immense, complexe, incernable ». Aujourd’hui, je vais pourtant tenter de vous dépeindre qui elle était pour moi. Oh, j’aurais voulu vous dire tant de choses à son sujet mais je me dois de me limiter à ces quelques phrases. Le tempspasse et emporte avec lui le souvenir de ceux que l’on a aimé. Les paroles s’envolent mais les écrits restent, et c’est afin que sa vie ne tombe pas dans l’oubli que je vais vous la raconter du mieux que je le peux.
Presque un siècle, quatre-vingt-dix-neuf années de vie exactement, se sont écoulées jusqu’à sa mort. Mais il faut bien sur commencer par le début. Comme vous le savez peut être déjà,mesdames et messieurs, ma mère a vu le jour l’année du commencement de notre siècle à Ivanovo, en Russie. Fille unique d’une famille de la bourgeoisie juive, elle a passé son enfance entre la Russie, la France et la Suisse suite au divorce de ses parents. De cette enfance bousculée, elle a retenu le plus bénéfique : une éducation cosmopolite et vaste, qui lui a permis de devenir avocate, puisd’entamer une carrière de juriste internationale avant de se consacrer à l’écriture. De son mariage avec Raymond Sarraute, mon père, sont nées Claude, Dominique et moi-même, Anne.

Cependant, je ne suis pas seulement ici pour vous parler des détails de sa vie privée ou de son enfance. Aujourd’hui, mesdames et messieurs, je souhaite vous parler de l’écrivain qu’elle était. Son oeuvre littéraire estimmense : elle est l’auteur de presque vingt ouvrages! Certains préfèrent la célébrité quand d’autres préfèrent la modestie. Ma mère, louée, admirée mais peu blâmée, demeurait pourtant en toutes circonstances, modeste. Elle est reconnue dans le monde entier : la plupart de ses œuvres ont été traduites dans un nombre incalculable de langues! En outre, son roman Les Fruits d’Or lui a valu le plusgrand prix qu’un écrivain puisse espérer un jour recevoir : le Prix International de Littérature. Mais tout cela, tous ces prix, tous ces titres, tous ces honneurs, tous ces éloges, toute cette renommée, mesdames et messieurs, vous en avez sûrement déjà la connaissance. C’est pourquoi je souhaite remonter au début, au côté le plus inconnu et mystérieux de ma mère.
Dès sa plus tendre enfance, lalecture était pour elle « un moment de bonheur intense ». Elle a toujours eu un certain goût pour l’imagination. C’est cet amour pour les mots, pour leurs richesses cachées, leur musique, leur sonorité qui l’a poussée à écrire. Ma mère possédait de grandes qualités rédactionnelles – chose bien entendu essentielle pour un écrivain. Elle se consacrait avec passion au travail qu’elle aimait, aux joiespaisibles de la vie. On remarque nettement les aspects raisonné, simple et comique qui caractérisaient l’écrivain qu’elle était, dans son roman Enfance, où deux voix distinctes se mêlent – l’une correspondant à la vision naïve, rêveuse et simple de ma mère jeune, l’autre se rapportant à la vision réfléchie et critique de l’adulte par rapport aux faits racontés. À mon sens, tous les écrivains dumonde ont quelque chose à lui envier : son humour, sa malice, son discernement, sa rhétorique, ou encore sa sensibilité. C’est ainsi, je l’espère, que l’on se souviendra de l’un des plus grands et des plus célèbres écrivains du XXème siècle.

Mais assez parlé de ses œuvres, changeons maintenant de sujet. Permettez-moi maintenant, mesdames et messieurs, de la considérer en tant que femme et en…