Charles taylor multiculturalisme
Malaises avec Charles Taylor
Le réputé philosophe est un digne réprésentant du courant anti-Lumière.
Marie-Michelle Poisson
Ce texte a paru dans le numéro 10 de Cité laïque, revue humaniste du Mouvement laïque québécois.
Au moment de la nomination de Charles Taylor à titre de coprésident de la Commission de consultation sur les pratiques d’accommodement reliées aux différencesculturelles, je connaissais à peine ce philosophe canadien même si j’enseigne la philosophie au collégial depuis près de vingt ans. Comme tout un chacun vantait la réputation internationale de ce penseur canadien qui venait de se mériter le prix Templeton [1] et comme ce personnage serait appelé à jouer un rôle important dans l’actualité québécoise, je me suis engagée à relire plus attentivement sesœuvres.
Étonnement et perplexité
Les œuvres de Charles Taylor les plus connues du grand public sont Le malaise de la modernité [2] et Multiculturalisme [3]. À la lecture des ces ouvrages, j’ai vite été frappée par la virulence de certains passages. J’ai eu quelques difficultés à concevoir qu’on puisse accuser des auteurs tels que Descartes, Rousseau, Kant d’être à l’origine des pires maux de lasociété moderne comme en témoignent les quelques passages qui suivent ; [4]
« Descartes a été le premier et le plus célèbre propagandiste de cette raison « désengagée », et il a fait un choix lourd de conséquences, souvent imité depuis. » [5]
« La politique d’égale dignité est apparue dans la civilisation occidentale de deux manières que l’on pourrait associer à deux noms emblématiques, Rousseauet Kant. (…) Les examiner devrait nous permettre de voir jusqu’où ils sont coupables d’imposer une homogénéité artificielle. » [6] : « Sous l’égide de la volonté générale, tous les citoyens vertueux doivent être également honorés. L’âge de la dignité était né. » [7] « Pourtant, si nous pensons à Rousseau comme inaugurant la nouvelle politique d’égale dignité, on peut avancer que cette solution estfondamentalement défectueuse. » [8] (…) « Nous devons tous nous déprendre de la volonté générale, (…). Cela a été la formule des formes les plus terribles de tyrannie homogénéisante, depuis la Terreur Jacobine jusqu’aux régimes totalitaires de notre siècle. » [9]
« Parce que le concept de liberté autodéterminée, poussé à bout, ne reconnaît aucune limite : il ne reste rien que je devraisrespecter en exerçant un choix autodéterminé. Cela peut facilement basculer dans les pires abus de l’anthropocentrisme. Il en existe bien sûr, une variante politique, formulée dans le Contrat social de Rousseau et développée ensuite dans un autre sens par Marx et Lénine, qui lie l’individu à la société. Mais ces développements ont entraîné l’anthropocentrisme à de nouvelles extrémités, dans leur athéismeet les abus contre l’environnement, qui ont surpassé même ceux des sociétés capitalistes. » [10]
Ces propos sont étonnants. Que faut-il penser de ce grand philosophe canadien qui met radicalement en cause les principaux repères modernes dans les domaines de l’éthique et de la politique que sont le recours à la raison, l’égalité, la dignité humaine et le contrat social ?
Les anti-lumièresC’est au hasard d’une visite à la Grande Bibliothèque que je suis tombée sur Les anti-Lumières de Zeev Sternhell [11]. La lecture de ce bouquin de près de 600 pages, extrêmement bien documenté, m’a fait connaître, à mon grand étonnement, l’existence d’un mouvement de pensée fort répandu et bien organisé qui s’est donné pour mission de pourfendre les Lumières. J’ai découvert que les acquis de laphilosophie, tout comme ceux de la science, peuvent subir de sévères tentatives de dénégation sur le fond.
Les anti-Lumières ont dès leur origine été conscients des enjeux fondamentaux mis en cause par l’avènement des Lumières et ont tout fait pour contrer l’avancée des nombreuses révolutions sociales et politiques qu’allaient susciter les idées nouvelles. Les observations attentives et…