Alfred de musset (1810-1857) la confession d’un enfant du siècle, ii, (1836)
[L’inspiration autobiographique de cette Confession est évidente, Musset y transposant les trois années orageuses vécues avec George Sand. Mais l’intérêt de l’œuvre tient aussi à son essai depsychologie sociale de la jeune génération : «Ils avaient dans le tête tout un monde; ils regardaient la terre, le ciel, les rues et les chemins; tout cela était vide, et le cloches de leurs paroissesrésonnaient seules dans le lointain.»]
Trois éléments partageaient donc la vie qui s’offrait alors aux jeunes gens : derrière eux un passé à jamais détruit, s’agitant encore sur ses ruines, avec tousles fossiles des siècles de l’absolutisme; devant eux l’aurore d’un immense horizon, les premières clartés de l’avenir; et entre ces deux mondes… quelque chose de semblable à l’Océan qui sépare levieux continent de la jeune Amérique, je ne sais quoi de vague et de flottant, une mer houleuse et pleine de naufrages, traversée de temps en temps par quelque blanche voile lointaine ou par quelquenavire soufflant une lourde vapeur; le siècle présent, en un mot, qui sépare le passé de l’avenir, qui n’est ni l’un ni l’autre et qui ressemble à tous deux à la fois, et où l’on ne sait, à chaque pasqu’on fait, si l’on marche sur une semence ou sur un débris.
Voilà dans quel chaos il fallut choisir alors; voilà ce qui se présentait à des enfants pleins de force et d’audace, fils de l’Empire etpetits-fils de la Révolution.
Or, du passé ils n’en voulaient plus, car la foi en rien ne se donne; l’avenir, ils l’aimaient, mais quoi ! comme Pygmalion Galatée : c’était pour eux comme une amantede marbre, et ils attendaient qu’elle s’animât, que le sang colorât ses veines.
II leur restait donc le présent, l’esprit du siècle, ange du crépuscule qui n’est ni la nuit ni le jour; ils letrouvèrent assis sur un sac de chaux plein d’ossements, serré dans le manteau des égoïstes, et grelottant d’un froid terrible. L’angoisse de la mort leur entra dans l’âme à la vue de ce spectre moitié…