Boileau , la satire

Lorsqu’il écrit « A New York », au temps de la violence a succédé celui de la réflexion, du dialogue, de l’humanisme serein ; de surcroît l’image des U.S.A., dans l’immédiate après-guerre est momentanément moins contestée, plus, ambiguë selon le regard reconnaissant, admiratif ou sévère que l’on porte sur un pays dont on redécouvre qualités et défauts, étrangeté et sens de la fraternité. C’est àce moment que se situe le voyage de Senghor, membre en tant que parlementaire français, d’une délégation française à l’O.N.U., à une date qu’il serait aisé de retrouver, en tout cas antérieure à 1956, date de la publication du poème dans Ethiopiques.
« A New York » est composé de trois parties, de longueur sensiblement équivalente, qui correspondent à une progression de la réflexion de l’auteur.Tout au long de ce poème-confidence, il passe de l’étonnement au désarroi, de la découverte du microcosme de Harlem à une sorte de justification de sa philosophie de la Négritude.

Dans la première partie on distingue deux moments :

d’abord (versets 1 à 6) [3] s’expriment les sentiments contradictoires du nouvel arrivant, « si timide d’abord », éperdu d’admiration (« confondu ») au spectaclede la ville, et en même temps angoissé de constater que tout ce qui pourrait évoquer le vivant -la vie des hommes, de la nature, des éléments – , n’intervient que métaphorisé au sein d’un univers métallique, qu’il perçoit comme un défi, comme un orgueilleux cri de victoire lancé par la civilisation industrielle à l’encontre de la Création.
L’ambiguïté de la réalité newyorkaise est traduite parune constante association entre les aspects positifs du vivant -beauté, sourire, force, orgueil- et une dévitalisation de ces mêmes éléments : filles d’or, yeux de métal, sourire de givre, lumière sulfureuse, fûts livides, muscles d’acier (des immeubles !.). Même si le désarroi du poète s’inscrit en filigrane, avec des termes tels que confondu, timide, angoisse, son regard ne peut encore être qu’unregard de myope (« yeux de chouette »), incapable d’admettre que la victoire remportée sur les vieux ennemis de l’homme, -la nature déchaînée qu’évoquent les cyclones et la mort que semble nier la « peau patinée » des gratte-ciel-, implique l’écrasement de l’homme isolé « au fond des rues » ainsi que la privation du soleil soumis à une éclipse et de la lumière du jour. C’est la victoire de lamatière orgueilleuse « dont les têtes foudroient le ciel » et non celle de la vie.
– mais soudain le sens du réel l’emporte : à l’invocation d’un « New York » abstrait, au début du poème, succède la perception affective et morale de Manhattan, ressenti comme lieu du manque (versets 7 à 15). D’abord s’impose fiévreusement la sensation de l’absence de la Nature, après « quinze jours sur les trottoirschauves » ; de la frustration d’une nature végétale (de caractère pastoral avec ses puits et pâturages), on passe avec les oiseaux morts (v. 8-9) au monde animal, puis on parvient, avec une force qu’accentue la quadruple anaphore des « pas… », et qui se traduit chaque fois par des images à la fois concrètes et vivantes, à la frustration du rapport humain et de son infinie richesse : l’enfant etson corollaire la confiance (« sa main dans ma main fraîche ») ; la femme à la double vocation maternelle et sensuelle (v. 11) ; la parole qui émanant d’êtres de chair pourrait être véhiculé de tendresse et de sincérité ; la culture (le livre) qui méconnaît son lien nécessaire avec la morale (v. 13). Ce qu’attendait le poète ce sont les composantes essentielles de son univers moral, -la confiancedans la vie, la sensualité, l’authenticité, la sagesse. Ce qu’il trouve, c’est la mort, la beauté aseptisée « des jambes et des seins sans sueur ni odeur »), l’artifice et le calcul, symbolisé par la « monnaie forte », un décor multicolore mais sans âme ni vie (« la palette du peintre fleurit des cristaux de corail »). Et le premier mouvement du poème s’achève, après l’échec d’un dialogue entre…