Bonjour

INTRODUCTION :

La liberté, au sens le plus commun, c’est être affranchi de toute entrave, n’être soumis à aucune obligation ni contrainte. Etre libre, ce serait faire tout ce qui nous plaît. Mais il est facile de voir qu’à ce compte-là, personne n’est libre et ne le sera jamais. Ma liberté rencontre toujours des limites : le règlement, la loi, mes forces physiques, et la liberté desautres[note 1]. Je ne suis pas libre d’être grand si je suis petit, ni de ne pas avoir de la fièvre si j’ai la grippe. Or, si ma liberté est limitée, semble-t-il, je ne suis pas libre. On n’est pas libre partiellement. Si, être libre, c’est faire tout ce que l’on désire, il n’y a pas de degrés dans la liberté: c’est tout ou rien; soit on est libre, soit on ne l’est pas du tout. Puisqu’il y a toujours deslimites, faut-il renoncer à l’idée que l’homme soit libre? Peut-être est-il plutôt nécessaire de penser autrement la liberté. S’il ne dépend pas de moi de faire tout ce que je veux, en revanche, il semble que ma pensée, elle, soit indépendante. Même si mon corps est entravé, je reste libre de rêver que je m’évade. Ma pensée, tout intérieure, est indépendante et hors d’atteinte de la réalité oud’autrui. Nul ne peut me contraindre à penser vrai ce que je crois faux, à vouloir ou à aimer ce que je n’aime ou ne veux pas. Cependant, est-il certain que ma pensée elle-même soit libre? Ne peut-on pas, au moyen de certains procédés, influencer la pensée?
I. Le libre arbitre
1. Ce qui dépend de nous

Pour définir le domaine de la liberté, pour répondre à la question: jusqu’où ma liberté, si elleexiste, s’étend-elle? , les stoïciens distinguent ce qui dépend de nous et ce qui n’en dépend pas (Epictète, Manuel, I, 1), ce dont nous sommes maîtres, et ce à quoi nous ne pouvons rien changer. Ce qui ne dépend pas de moi, c’est que je suis né comme ceci et pas autrement, petit ou grand. Je n’y peux rien. Quand je tombe malade, souvent, si ce n’est pas à la suite d’une imprudence mais d’uneinfection, je ne l’ai pas choisi. Nous vieillissons et la vie s’achève un jour, nous n’y pouvons rien. Tous ces exemples concernent le corps. On peut déjà conclure que notre corps ne dépend pas entièrement de nous, il n’est pas entièrement en notre pouvoir.

La distinction classique entre l’âme et le corps conduit les stoïciens à examiner le cas de l’âme et de son contenu: pensées et désirs. Ceux-làsont bien en notre seul pouvoir, ils n’appartiennent qu’à nous. Epictète, Manuel, VI: « Qu’est-ce qui est à toi? L’usage des idées ». Mon corps, on peut en disposer: on peut le forcer, le contraindre, l’enchaîner. Mais il est impossible d’enchaîner mes pensées. Epictète a lui-même eu l’occasion de méditer ces idées, puisqu’il a été l’esclave d’un maître cruel. L’esclave, privé de liberté physique,peut cependant rêver qu’il s’évade. On raconte qu’un jour, alors que son maître le battait et menaçait de lui casser la jambe, Epictète s’amusait de ses coups et lui disait: « Attention, tu vas la casser. Voilà, je te l’avais dit ». Si mon tibia craque sous un coup, cela ne dépend pas de moi; en revanche, la représentation que je me fais de ce malheur, ne dépend que de moi. Je peux choisir de merévolter vainement, ou au contraire accepter l’inévitable. C’est l’essence même de l’attitude stoïque.

Le corps peut être enchaîné, pas la pensée. Galilée, menacé de mort lors de son procès, renonce à clamer sa théorie. Mais, dit-on, il aurait murmuré à part lui: « Et pourtant, elle tourne ». On peut bien me faire taire, mais pas m’enlever mes opinions par la force. Tout autre bien auquel l’ons’attache risque de nous être enlevé tôt ou tard. La richesse ne dépend pas que de nous, mais aussi de la conjoncture économique mondiale. La roue peut tourner. En revanche, l’idée que je me fais de la richesse, elle, m’appartient. Par suite, je suis libre de mépriser l’argent, du moins de ne pas trop l’aimer. Descartes retient la leçon des stoïciens: « Mieux vaut changer ses désirs que l’ordre du…