Calviac

« On ne naît pas homme, on le devient », disait Erasme. Ce précepte illustre, issu notamment du courant humaniste – dont la vocation première consiste à affirmer la suprématie de la dignité humaine – éclaire sur cette conviction profonde des plus grands protagonistes de la Renaissance de former les individus à la Raison et de leur inculquer une éducation solide, en adéquation avec les principesde « ce siècle si plein de Lumières », comme le notifiait Rabelais dans une lettre adressée à son ami André Tiraqueau[1]. Claude Hours de Calviac, fils de Jean Calviac et frère de Bernard Calviac, est protestant et vit à Genève où il est reçu bourgeois après son bannissement du royaume de France par Henri II en 1557. En 1559, il s’inspire du Traité de Civilité Puérile[2] d’Erasme publié en 1530,diffusé et traduit dans nombreux pays, pour rédiger à son tour un manuel de civilité destiné aux familles et intitulé La Civile honnesteté pour les enfants, avec la manière d’apprendre à bien lire, prononcer et escrire qu’avons mise au commencement. (Paris, rue Saint-Jacques à l’Escrevisse, 1560) Un extrait de ce dernier, axé sur les manières de la table, se trouve précisément répertorié dansl’œuvre la plus réputée d’Alfred Franklin, historien de la fin du XIXème Siècle : La vie privée d’autrefois, Arts et Métiers, mode et mœurs, usages des Parisiens du XIIème Siècle au XVIIIème Siècle.
Si l’année 1559 correspond d’une part à la mort du monarque français Henri II, elle marque d’autre part la fin des guerres d’Italie entre la France et l’Espagne par l’intermédiaire du Traité deCateau-Cambrésis. 1559, désigne en outre, la période tourmentée de la Renaissance puisque depuis les années 1520, la menace réelle d’une guerre civile religieuse se propage et se dessine, à laquelle s’ajoutent les crises frumentaires et de peste qui déciment les populations et obscurcissent les grands espoirs des humanistes. Toutefois, si ce siècle est celui de tensions progressivement accumulées, ilest également le produit du courant humaniste et de cette période fastueuse qu’a été la Renaissance. L’Humanisme se caractérise par un retour à l’Antique et la volonté de placer l’homme au cœur de la société. Ce mouvement s’appuie essentiellement sur l’éducation et le savoir, censés rendre les individus plus sociables et humains, en opposition avec les habitudes violentes du Moyen-âge. En outre,comme ces qualités ne sont hélas pas automatiquement acquises dès la naissance, il semble impérieux de former prioritairement les enfants grâce aux nombreux manuels de civilité dont l’objet consiste à leur enseigner les conventions sociales et règles de bienséance qui régissent les relations entre individus dans toutes les sphères de la vie.
L’extrait du manuel de Claude Calviac permetainsi l’étude des usages et des rites inculqués aux enfants sur la manière de se comporter à table et de se nourrir au moment des repas. A celle-ci, s’ajoute par ailleurs l’analyse des fondements principaux et des implications des manuels de civilité qui ont incité les précepteurs à les rédiger. En d’autres termes, comment doit se nourrir un enfant et se tenir à table sous la Renaissance ? Dansquelle mesure, ces manuels ont-ils été un objet de distinction sociale, voire un modèle dans la constitution de valeurs tacitement assimilées par l’ensemble des classes sociales ? Nous étudierons en conséquence l’ensemble des conventions exprimées par Claude Calviac sur la manière appropriée de se tenir à table en France, pour ensuite évoquer la tenue adéquate de l’enfant face à la nourriture et sepencher enfin sur les objectifs de ce cérémonial, lesquels lui ont permis de constituer un véritable art de vivre.

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Par l’intermédiaire du courant humaniste, la place occupée par l’éducation au XVIe siècle est si grande qu’elle a incité une majorité de précepteurs à rédiger moultes manuels de civilité. Il s’agit pour eux de proposer aux familles un guide pour les aider dans…