Chacune de nos lectures laisse une graine de germe
Chacune de nos lectures laisse une graine de germe.
Jules Renard
Lire! Quelle belle chose! Chaque lecture sème en nous un noyau qui, planté dans un terrain fertile portera à son tour des fruits. Est-cela que Jules Renard veut nous dire en parlant de graine et de germe? de quelle origine donc seront cette semence et ce germe? les traces qu’ils laisseront auront-elles la même naturequ’eux ou pourront-elles être différentes? peut-il y avoir de mauvaises graines en lecture? Quelle lecture, enfin agrandit l’âme, comme le prétend Voltaire?
En ouvrant un livre, n’importe lequel, on laisse pénétrer en soi son contenu. Qu’il soit sucré ou amer, véridique ou farfelu, bien ou mal écrit, il laissera une trace, même infime, mais bien réelle. Ces textes, gravés en nous plus ou moinsprofondément, nourrissent notre esprit de ce qu’ils contiennent.
Cependant toute lecture n’aura pas le même impact. Celui-ci dépendra du type du texte, de sa fonction. Et puis chaque texte a sa force et sa profondeur propre. La semence est jetée, et pour savoir savoir de quelle nature elle sera, il faut retourner à son origine. L’intention de l’auteur est à la source de son désir de transmettre.Désire-t-il nous séduire, nous divertir, nous inquiéter, nous convaincre, nous choquer? Souhaite-t-il transmettre un message, gagner un concours littéraire ou vendre un article? A-t-il besoin de partager un amour ou une haine?
De la nature de cette intention dépendra la semence et donc la trace laissée dans l’esprit du lecteur.
Les traces laissées par cette semence seront-elles de même natureque l’intention de l’auteur du texte? si effectivement, la graine contiendra en partie ce que son créateur a souhaité insuffler dans son récit, le lecteur, lui, rendra chaque texte unique selon la résonance qu’il lui donnera. Afin de rester dans la même imagerie, le lecteur permettra ou non à la graine de se développer selon sa propre nature.
Il est dit que, si les Allemands avaient lu « meinKampf » d’Adolf Hitler, beaucoup n’auraient pas adhéré si facilement à sa montée fulgurante au pouvoir, rebutés par la haine raciale dont ce texte était truffé. Très peu de gens avaient pris connaissance des mémoires du Führer. Ils n’auraient donc pas laissé pousser la semence déposée par l’auteur. Mais il est dit aussi que cette intolérance et cette violence étaient déjà présents dans la sociétéallemande des années trente. Le terrain était par conséquent fertile et infertile.
Donc l’intention de l’auteur donne la couleur principale au récit, mais c’est le lecteur qui la reflètera plus ou moins fortement comme un miroir.
Après cette constatation, la question suivante est donc de savoir si la lecture peut être nuisible ou non. Le danger dans la lecture vient du fait qu’elle pourraitentraîner le lecteur dans l’erreur. Prenons l’exemple d’ « Emma Bovary » de Flaubert. Elle fuyait la réalité en lisant des romans qui lui faisaient miroiter un monde bien meilleur que celui dans lequel elle vivait. Sachant où cela la mena, on peut se demander si ses lectures n’étaient pas de mauvaises graines. L’erreur, ici, est de ne lire qu’un livre unique. Rappelons-nous du « Joueur d’échec » deStephan Zweig. Sa vision s’était rétrécie à des stratégies de jeu à tel point qu’il n’était plus capable de voir la réalité telle qu’elle était. Un seul autre livre aurait sauvé ce personnage de la folie. Pour Madame Bovary, ses lectures n’étaient mauvaises que dans la mesure où elles nourrissaient une nature déjà en perdition. Ce qui veut dire qu’une lecture ne peut être nocive que quand elleprend possession de tout l’espace du lecteur. Par conséquent, il n’y a pas de mauvaises graines en soi, pour autant que l’on conserve une certaine diversité. C’est cela qui est vital.
Varions donc nos lectures pour ne pas nous laisser envahir par une couleur unique. Seulement, cela suffit-il pour agrandir l’âme ou doit-on chercher cette tendance dans l’intention de l’auteur, ou plutôt des…