Coco chanel
I L’ascension d’une manipulatrice.
Née pauvre, elle n’eut de cesse que de masquer ses origines. Toute l’existence de cette reine de l’Allure oscille entre les éclats du succès, ses amours de haute volée et le bruit sourd de son destin solitaire. S’il fallait d’un mot résumer la vie de celle qui, entre intuitions et rébellions, aura été l’ «ange exterminateur d’un style XIXe siècle» (PaulMorand), le terme serait double. Double, comme les fracas de la gloire qui entoureront cette reine de l’Allure et le bruit sourd de son destin d’amazone solitaire. Double, comme les deux C, symboles enlacés du succès de sa maison, fondée en 1914, qui aujourd’hui encore, vingt-sept ans après la disparition de la Grande Mademoiselle, authentifient sacs, parfums, foulards, boutons et autres essentielsaccessoires de son sceau arc-bouté. Des initiales autrefois gravées dans le bois rugueux de la table de son arrière-grand-père, Joseph Chanel, cabaretier à Ponteils. Ce hameau cévenol au cœur d’une forêt de châtaigniers, berceau de sa famille paternelle paysanne mais sans terre, dont jamais elle ne prononcera le nom. Et pour cause.
S’acharnant tout au long de sa vie à forger sa légende pour«masquer ses origines» (Edmonde Charles-Roux), Gabrielle Chanel préfère ancrer son histoire sur les bords langoureux de la Loire, où elle est née le 19 août 1883, aux hospices de Saumur, ville célèbre pour son école de cavalerie. Enfant de l’amour, elle est la deuxième fille d’Albert Chanel, camelot («négociant», dira le Who’s Who), et de Mlle Jeanne Devolle, couturière, trois maternités plus tard, enfinmariée, à 33 ans, sa mère s’éteint. Epuisée. «On m’a tout arraché et je suis morte», confiera Chanel à son amie de la dernière heure, Claude Delay (Chanel solitaire, Gallimard), avec laquelle pendant dix ans elle partagera l’ultime version de sa vie. «J’ai connu ça à 12 ans», ajoute-t-elle, justifiant ainsi sa résistance aux coups du destin. Et son étrange passion pour la solitude, que ni sacélébrité ni ses amours de haute lignée ne parviendront à effacer.
Double, enfin, comme Coco, ce surnom aux accents conquérants dont elle dit qu’il lui vient de son père. Parti à jamais tenter sa chance en Amérique, pour tout héritage Albert lui laisse un nom, mademoiselle Chanel, et le statut d’orpheline. Ce mot qu’elle ne pourra jamais entendre sans être «glacée d’effroi».
A peine âgée de 15ans, Gabrielle, en compagnie de Julia, sa sœur, est confiée aux religieuses du monastère d’Obazine, un orphelinat à quelques kilomètres de Brive. En chemisier blanc et jupe noire, source peut-être de «son paupérisme rageur [qui] se plaisait à dévaluer jusqu’aux pierres précieuses» (Paul Morand, dans L’Allure de Chanel, éd. Hermann) et de cette rigueur qui deviendra la quintessence du style Chanel -tout au long des jours sans fin elle apprend à ne compter que sur elle-même pour gagner les galons de sa liberté.
N’aspirant pas au noviciat, à 18 ans, Gabrielle est confiée aux dames chanoinesses de Moulins, qui lui apprennent le pointilleux métier de couseuse. Elle y retrouve sa tante Adrienne, dernière-née de ses grands-parents prolifiques. Elles ont le même âge et surtout la même ambition:s’en sortir. Habiles à manier le fil et l’aiguille, les voici bientôt placées en qualité de commises dans une maison spécialisée en trousseaux et layette. Dans cette ville de garnison où les jeunes gens de bonne famille viennent apprendre l’art de la guerre en aiguisant leurs armes de conquérants, leurs jolies silhouettes ne manquent pas d’être remarquées.
Très courtisée, Gabrielle, qui necompte pas partager le sort anonyme des cousettes, est prête à prendre des risques. Même si la frontière est fragile entre sa volonté et le péril de passer pour une femme facile. En quête d’un avenir dont elle refuse qu’il se limite à broder sur des draps de coton fin le chiffre d’heureuses élues qui ont croisé l’amour officiel, le soir elle tente sa chance là où d’autres feront basculer à…