Commentaire au bonheur des dames emile zola
Zola s’est constamment intéressé aux phénomènes sociaux de son époque : soit aux rapports entre les diverses classes sociales, soit aux évolutions industrielles, agricoles ou commerciales. C’est précisément à la naissance et au développement des grands magasins à Paris qu’il consacre le onzième roman de la série des Rougon-Macquart : Au bonheur des dames. Celui-ci évoque le triomphe du grandmagasin d’Octave Mouret « Au bonheur des dames » et l’ascension difficile de l’une des vendeuses, Denise, dans cet univers impitoyable. L’extrait se situe dans le dernier chapitre: Mouret a organisé une grande journée de vente de « blanc » dont Zola nous décrit la fin. Le texte met en évidence le pouvoir que son génie du commerce donne à Mouret et, par opposition, la faiblesse déraisonnable des femmesdévorées par le besoin d’acheter et le culte de la mode.
Mouret est un commerçant qui a su mettre en place et utiliser au mieux des techniques de vente révolutionnaires au XIXème siècle. C’est d’abord une clientèle presqu’exclusivement féminine qu’il veut attirer, ce que le nom de son magasin indique bien « Au bonheur des dames », et il cherche d’emblée à les séduire par le caractère esthétiquedu déploiement des marchandises. En cette fin de journée de vente du « blanc », Zola évoque « les flamboiements » (12) des étoffes sans doute illuminées par l’éclairage du magasin et le contraste saisissant entre « les ombres noires » des clientes et « les fonds pâles » de tous ces tissus blancs : l’ensemble paraît très beau et Mouret le « contemple » (verbe utilisé dans le paratexte). Dans le texte, Zolaénumère aussi rapidement les techniques commerciales exploitées par Mouret: « son entassement continu de marchandises, sa baisse des prix et ses rendus, sa galanterie et sa réclame » (1 9-10).
Le texte met bien en évidence le succès commercial de Mouret par l’affluence des clientes et la recette de cette journée. Zola indique cette affluence par le terme « cohue » (l 3) et la renforce par desmétaphores hyperboliques assimilant les déplacements de cette foule de clientes aux mouvements de la mer à travers « de longs remous » (l 3) et « la houle des têtes » (l 4). Ces déplacements chaotiques, d’après les termes « brisaient » et « désordonnée », montrent aussi le succès de cette vente car les clientes se bousculent pour atteindre les différents rayons du magasin et sont prises d’une véritable « fièvre »d’achats qui donne le « vertige » (l 4). Apparemment, ces clientes sont aussi restées longtemps dans le magasin puisque « on commençait » seulement à sortir et elles ont fait déballer beaucoup de marchandises d’après « le saccage des étoffes » (l 5) sur les comptoirs. Ce succès commercial de la journée est d’ailleurs confirmé par la phrase « l’or sonnait dans les caisses » (l 6) où l’auteur emploie le mot »or » symboliquement plus fort que le simple mot « argent ». On apprendra plus loin dans le chapitre que la recette est colossale puisqu’elle atteindra le million…
La réussite commerciale de Mouret est donc évidente, mais ce n’est pas vraiment cette dimension de l’individu que Zola met en relief dans cet extrait, c’est plutôt le pouvoir qu’il détient sur sa clientèle, pouvoir inquiétant…
Eneffet, dans son magasin, Mouret veut sans doute faire « le bonheur des dames » en facilitant leurs achats par un gain de temps et d’argent (puisqu’il vend de tout et à bas prix), mais il suscite et alimente aussi trop de désirs d’achats, des besoins artificiels, il pousse ces femmes à acheter au-delà de leurs besoins, il les manipule, il le sait et il en jouit. Ce pouvoir, cette domination sontconstamment soulignés dans le texte de différentes façons. Dans la phrase « il avait conquis les mères elles-mêmes » (l 11) Zola suggère que même les mères de famille, normalement plus raisonnables financièrement que les femmes sans enfants, ont cédé à la tentation des achats (car Mouret a créé un rayon de vêtements pour enfants auxquels ces mères ne résistent pas). Mais c’est surtout par le…