Commentaire de la presqu’île, julien gracq

Un nouveau regard sur le monde et les objets, c‘est ce que préconisait le mouvement surréaliste né au début du XXe siècle, en parallèle avec la volonté de vouloir exprimer la pensée à son état initial, c’est-à-dire sans l’influence de la raison, de l’esthétique ou bien de la morale. En délivrant une vision à la fois originale et curieuse du train dans sa nouvelle La Presqu’île, publiée en 1970,Julien Gracq peut sans conteste être considéré comme faisant parti du mouvement. On peut alors se demander par quels moyens l’écrivain apporte une toute nouvelle image de la machine. Pour cela, l’on va dans un premier temps analyser le récit de l’arrivée du train, pour ensuite étudier l’image que l’auteur suggère de la machine, ainsi que celle de son personnage. Pour finir, l’on se penchera sur lesrapports établis entre ce dernier et le train.

L’extrait commence sur « un mouvement de contrariété résigné » de Simon qui appréhende alors le supposé retard du train qu’il attend, l’horloge indiquant l’heure exacte où il doit arriver sur le quai. Le fait que ce ne soit pas « une gare de campagne » explique que le train ne lui est pas signalé, c’est pourquoi il « (voit) déjà devant lui ledéjeuner refroidi, la quête énervante d’un restaurant », tandis que la locomotive arrive. Son agacement est alors en quelque sorte avorté, il ne s’agissait que d’un emportement un peu trop rapide de sa part, et il laisse place à un soulagement inattendu. Tout ceci fait de l’arrivé du train une sorte de miracle sur lequel le personnage ne comptait plus. Le lecteur espère dès lors que la suite desévénements soient à la hauteur de ce jaillissement soudain de la machine « comme d’un toril derrière la cabine de l’aiguilleur ». Cependant, cette apparition triomphale du train ne comble pas ses attentes.
En effet, l‘écrivain marque déjà une rupture lorsqu‘il écrit que « l’événement (va) accoucher maigrement ». A partir de là le récit prend progressivement l’aspect de « canular » puisqu‘il s‘agitd‘aller à l‘encontre de cet espoir qu‘il a fait naître à son début. D’abord parce que seulement « huit ou dix voyageurs (descendent) » du train, ce qui constitue un effectif minable par rapport à ce grandiose que l’on attendait, ensuite parce que la rapidité avec laquelle les actions semblent s’enchaîner ne suggère que trop explicitement la comédie puisque « très vite, le climax (est) passé : la friseavalée par le portillon, le quai de nouveau (est) vide ». On peut considérer que l’attitude des voyageurs avec leur « allure hâtée et fuyante » illustre tout cela : ils semblent avoir honte ne pas combler les attentes du lecteur, et s’excusent auprès du personnage de le décevoir parce qu‘ils ne sont pas la personne qu’il attend.

Pour ce qui est de la vision du train, l’écrivain en fait icil’image d’un véritable être vivant en le personnifiant. De ce fait, on le retrouve qualifié par des aspects que l’on attribut en général à l’humain, comme lorsqu’il s’agit de son « crissement d’essieu rhumatisant » par exemple. C’est par l’image du rhumatisme que l’écrivain suggère le côté usé de la machine, le fait qu’elle soit vieille, tout comme l’on considèrerait l’homme qui serait atteint de lamaladie. Tout dans la description de son attitude peut être rapporté à celle d’une personne, que ce soit sa « vaillance arrogante et poitrinante de l’arrivée », ou bien le fait qu’elle ne « (soit) plus qu’une rame anonyme », un être ramené à sa solitude. Tout ceci suggère un certain abus de la part des hommes vis à vie du train, lequel serait en quelque sorte soumis à leurs volontés. D’abordglorifié parce qu’il transporte les voyageurs, il semble perdre ensuite toute sa fierté quand ils descendent des wagons et quittent la gare : le train est vide, il a perdu le « menu poids de destin » que l’humain lui accordait, il stop donc ses « jets de vapeur avantageux » « comme cesse de frétiller de la queue et laisse tomber ses oreilles un chien dont on ne s’occupe plus ». Cette dernière…