Je plains le temps de ma jeunesse

François Villon
« Je plains le temps de ma jeunesse… »

François Villon

Je plains le temps de ma jeunesse,
Auquel j’ai plus qu’autre gallé
Jusqu’à l’entrée de vieillesse,
Qui son partementm’a celé.
Il ne s’en est à pied allé,
N’à cheval ; hélas ! comment donc ?
Soudainement s’en est volé,
Et ne m’a laissé quelque don.

Allé s’en est, et je demeure
Pauvre de sens et de savoir,Triste, failli, plus noir que meure,
Qui n’ai ni cens, rente, n’avoir ;
Des miens le moindre, je dis voir,
De me désavouer s’avance,
Oubliant naturel devoir,
Par faute d’un peu de chevance.

Sine crains avoir dépendu
Par friander ni par lécher ;
Par trop aimer n’ai rien vendu
Qu’amis me puissent reprocher,
Au moins qui leur coûte moult cher.
Je le dis et ne crois médire ;
De ce mepuis-je revancher :
Qui n’a méfait ne le doit dire.

Bien est verté que j’ai aimé
Et aimeraie volontiers ;
Mais triste cœur, ventre affamé
Qui n’est rassasié au tiers
M’ôte des amoureux sentiers.Au fort, quelqu’un s’en récompense
Qui est rempli sur les chantiers !
Car la danse vient de la panse.

Hé ! Dieu, si j’eusse étudié
Au temps de ma jeunesse folle
Et à bonnes mœurs dédié,J’eusse maison et couche molle !
Mais quoi ? Je fuyaie l’école,
Comme fait le mauvais enfant.
En écrivant cette parole,
À peu que le cœur ne me fend.

Le dit du sage trop lui fis
Favorable (bien enpuis mais !)
Qui dit : « Éjouis-toi, mon fils,
En ton adolescence » ; mais
Ailleurs sert bien d’un autre mes,
Car « Jeunesse et adolescence »
C’est son parler, ni moins ni mais,
« Ne sont qu’abuset ignorance. »

Mes jours s’en sont allés errant
Comme, dit Job, d’une touaille
Font les filets, quand tisserand
En son poing tient ardente paille :
Lors s’il y a nul bout qui saille,Soudainement il le ravit.
Si ne crains plus que rien m’assaille,
Car à la mort tout s’assouvit.

Où sont les gracieux galants
Que je suivais au temps jadis,
Si bien chantants, si bien parlants,
Si…