La femme

Une si long lettre A la mort de son mari, Ramatoulaye se jette sur un cahier et y écrit cette « longue lettre » adressée à son amie Aïssatou installée aux Etats-Unis. Revenant sur les péripéties de leur longue amitié, elle en profite pour décrire les défis de société qui travaillent l’Afrique actuelle, déchirée entre tradition et modernisme. Ainsi aborde-t-elle, avec une rare sensibilité, lapolygamie, les injustices d’une société à castes, l’éducation des enfants, le servage de la femme… Texte incontournable pour tous ceux et celles qu’intéresse la lecture des fictions africaines.Ibidem, p. 100.Une si longue lettre relate les déboires conjugaux de Ramatoulaye, personnage principal qui en est, à la fois, la narratrice et l’héroïne. Mariée à Modou Fall, député bien connu dans son pays et àqui elle a donné 12 enfants, Ramatoulaye se voit, un jour, imposer brutalement une lycéenne comme co-épouse. Celle-ci a l’âge de sa fille aînée Daba, dont elle est d’ailleurs copine de classe… L’intrusion de cette jeune rivale dans un ménage qui, jusque-là, lui avait procuré toutes les joies de la vie conjugale, est une véritable déflagration pour Ramatoulaye. Elle n’avait rien vu venir et elleest effondrée. Les interrogations lancinantes qui lui torturent l’esprit illustrent son désarroi : « Partir ? Recommencer à zéro, après avoir vécu vingt-cinq ans avec un homme, après avoir mis au monde douze enfants ? Avais-je assez de force pour supporter seule le poids de cette responsabilité à la fois morale et matérielle[1]? ». C’est l’heure des bilans et des choix douloureux. Le premier bilan estcelui du corps, atout non négligeable pour toute femme : « Ma minceur avait disparu ainsi que l’aisance et la rapidité de mes mouvements. Mon ventre saillait sous le pagne qui dissimulait des mollets développés par l’impressionnant kilométrage des marches (…). L’allaitement avait ôté à mes seins leur rondeur et leur fermeté »[2]. Quant au choix d’un avenir autre, le sien est plus que surprenant.Alors que sa propre famille, ses enfants et ses amis s’attendent à ce qu’elle divorce de Modou, elle choisit de rester, prête à faire face aux humiliations, mesquineries et servitudes de la vie polygamique… Malgré la trahison de son mari, sa tendresse pour lui est restée intacte. Par contre, c’est Modou qui choisira de disparaître : « Il ne vint jamais plus ; son nouveau bonheur recouvrit petit àpetit notre souvenir. Il nous oublia »[3]. Jusqu’au jour où Ramatoulaye reçoit de la secrétaire de Modou le coup de fil fatal : « Crise cardiaque foudroyante survenue à son bureau alors qu’il dictait une lettre »[4]. Ramatoulaye, qui n’a jamais cessé d’aimer cet homme qui l’a reniée, accuse le coup. Il faut organiser le deuil, rester digne devant les cachotteries de la belle-famille, aussi bien celle deModou que celle de Binetou, la jeune rivale. A peine sortie de son veuvage, voilà que les mâles défilent de nouveau chez cette veuve « riche », prêts à conclure une bonne affaire. C’est d’abord le frère aîné de Modou, qui s’accroche à la coutume et veut « hériter » de la femme de son frère, alors qu’il n’arrive pas à nourrir ses trois épouses ainsi que leur nombreuse progéniture. C’est ensuite DaoudaDieng, l’ex-fiancé éconduit jadis, aujourd’hui marié et père, qui n’a pas oublié l’amour de sa jeunesse. Et puis bien d’autres, des jeunes et des moins jeunes. Ramatoulaye renonce à tout engagement dans l’immédiat. Elle choisit de s’occuper avant tout de l’éducation de ses enfants. Pourtant, elle confiera à sa destinataire, en fin de lettre : « Je t’avertis déjà, je ne renonce pas à refaire ma vie(…). L’espérance m’habite ». Voilà pour la trame. La première impression que laisse le livre de Mariama Bâ, c’est l’extrême sensibilité avec laquelle l’auteur aborde les problèmes sociaux du Sénégal et de l’Afrique moderne. Née en 1929, Bâ a été elle-même mariée et divorcée. Elle sait donc de quoi elle parle. Ramatoulaye dira à Daouda :  » Tu crois simple le problème polygamique. Ceux qui s’y…