La jurisprudence

Introduction
A côté des textes juridiques, l’autre grande source du droit français, c’est la jurisprudence.
Il y a deux manières de définir ce terme :
1. (définition très générale) La jurisprudence est l’ensemble des décisions rendues par les juges.
2. C’est le droit que créent les juges dans le cours de leur travail de résolution des conflits.
C’est dans ce deuxième sens, plus restreint,que l’on peut dire que la jurisprudence est une source importante du droit français.
Cette définition appelle deux remarques.
Premièrement, quand on dit que le juge crée « du droit », cela signifie, précisément, qu’ils élaborent de nouvelles règles de droit. On a vu au cours précédent que les textes juridiques énoncent des règles générales : mais certaines autres règles sont contenues dans lesdécisions des juges. Lorsqu’un juge crée une règle de droit, on dit qu’il exerce son « pouvoir normatif » (le pouvoir de créer les normes).
Deuxièmement : le juge crée les règles dans le cours de son travail, mais ce n’est pas la première chose qu’il fait. Ce qu’il fait à titre principal, c’est de résoudre le conflits (trancher les litiges) et/ou prononcer des sanctions quand la règle de droit a étéenfreinte. La jurisprudence est ainsi en quelque sorte le sous-produit de l’activité de juge, une conséquence de l’activité, ce n’est pas son premier rôle.

Pourtant, la jurisprudence aujourd’hui joue un rôle très important, en France comme dans beaucoup d’autres pays. La jurisprudence fait partie intégrale du droit, on ne peut pas en faire abstraction. Mais, en France la jurisprudence conserveun statut ambigu. On a tendance de se méfier des juges, d’avoir peur du « gouvernement des juges », et leur pouvoir normatif n’est pas pleinement reconnu.

I. L’affirmation du droit jurisprudentiel en France

A. Le principe : absence de pouvoir normatif du juge
1. L’interdiction des arrêts de règlement

Le « cas d’espèce », c’est le cas particulier. C’est un litige déterminé, que le jugedoit trancher (ce qui, on l’a dit, constitue sa fonction première). En principe, le juge ne doit rien faire d’autre que de trancher des cas particuliers, ce qui exclut tout pouvoir normatif
Ce principe est très important en France, c’est une conséquence de l’Histoire. Sous l’Ancien Régime, avant la Révolution Française, le roi manquait souvent d’argent (pour mener ses guerres, par ex.), et lesnobles et le clergé ne payaient pas d’impôts. L’idée est alors venue aux rois de France de vendre le droit d’exercer des fonctions publiques, comme par exemple celui de rendre de justice (système dit de la « vénalité des offices »). Mais ceci s’est finalement retourné contre le roi. Les juges, qui étaient propriétaires du droit de juger (et le transmettaient à leur fils par héritage) étaient trèsindépendants. Ainsi, en particulier, dans chaque province il y avait un « Parlement » (= ancêtre des actuelles Cours d’appel). Ces Parlements étaient très puissants et souvent s’opposaient au roi, notamment pour défendre les privilèges de leur province. Ces juges avaient acquis le droit de rendre des décisions qui comportaient des règles générales (susceptibles donc de concurrencer la loi du roi) : ils’agissait des arrêts de règlement. Ces grands pouvoirs des Parlements et leur opposition régulière au roi ont empêché la réalisation de certaines réformes importantes au XVIIIème siècle et cela a été l’une des causes de la Révolution française (tous les acteurs de ce conflit y ont d’ailleurs perdu : chute des rois de France et abolition des Parlements, remplacés par de nouvelles juridictions)Le choix des révolutionnaires a été, en réaction aux excès des Parlements, d’interdire purement et simplement les arrêts de règlement.
Cette règle a été reprise sous l’Empire à l’article 5 du Code civil, qui subsiste encore aujourd’hui dans sa rédaction originale :

C.civ., art.5 : « Il est défendu aux juges de prononcer par voie de disposition générale et réglementaire sur les causes qui…