La pensée et le mouvant

Pensée et le Mouvant, la [Henri Bergson]

|1| |Présentation |

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Pensée et le Mouvant, la [Henri Bergson], ouvrage de Bergson publié en 1934, contenant deux essais inédits à titre d’introduction à des articles et à des conférences écrits entre 1903 et 1923. Bergson y récapitule son expérience en évoquant notamment Spinoza, Berkeley etKant ; il entend en effet se distinguer de la tradition philosophique antérieure.
|2| |Le Possible et le Réel |

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|2.1 | |Confusions conceptuelles |

« Dans la durée envisagée comme une évolution créatrice, écrit Bergson en introduction, il y a création perpétuelle de possibilité, et non pas seulement deréalité ». Dans le Possible et le Réel, le philosophe remet en cause l’antériorité de la possibilité d’une chose ou d’un fait sur sa réalisation. Si les phénomènes physiques sont soumis à des lois intangibles, il n’en demeure pas moins qu’en matière artistique et biologique, l’évolution reste imprévisible. D’où vient en effet que nous établissons inconsidérément cette hiérarchie ? De ce que nousidentifions ordinairement les sens négatif et positif du possible ; or ils ne sont pas réversibles : respectivement, « ce qui n’est pas impossible » ne correspond pas exactement à « ce qui peut être prévu ». En confondant prévisibilité et prévision, nous conférons à toutes nos affirmations un sens rétrograde. De l’analyse a posteriori de l’orangé comme superposition de jaune et de rouge par exemple,nous inférons sa composition a priori : « Nous croyons à tort que ce qui est composé maintenant l’a toujours été. » Telle est l’illusion déterministe qui, en exonérant le sujet de sa condition biologique qui détermine de facto sa perception, postule d’emblée une intelligence inconditionnée pour laquelle « toute vérité est éternelle » et objet d’une prévision inéluctable en droit. Or, objecteBergson, « l’activité libre est une création perpétuelle de possibilités » ; tout acte, toute réalisation suppose une hésitation ou une évaluation, et équivaut à une hypothétisation ou encore à une potentialisation des faits et gestes de la nature. Dès lors, la véritable possibilité coïncide avec la réalité, l’acte avec la puissance. Il en résulte que toute vérité nouvelle ne préexiste pas à sadécouverte, mais fait l’objet d’une expérimentation qui, accédant à son expression, mérite le titre d’invention.
|2.2 | |Penser autrement le changement |

La perception du changement réclame en effet une telle faculté d’invention. Seule une philosophie « fondée sur la perception du changement » est digne de devenir une discipline scientifique au même titre que les sciencespositives. Toutefois, la substitution du concept au percept la compromet. D’où le fait qu’il se rencontre « autant de philosophies que de penseurs originaux », c’est-à-dire des philosophes condamnés à des luttes fratricides indéfinies par concepts interposés. C’est que la science calcule selon la quantité (concept) au lieu que le philosophe pense selon la qualité (percept), sans quoi « tout esthétérogène à tout, et […] une partie ne représente jamais l’ensemble ».
Pour échapper à cette atomisation de la philosophie, il faut promouvoir au titre d’objets dignes d’être requis par la pensée les « données des sens et de la conscience ». Inspirons-nous donc des artistes qui, depuis des siècles, voient « et nous font voir ce que nous n’apercevons pas naturellement », et nous serons « capablesd’une perception plus complète de la réalité » : d’une part, en nous détournant de nos intérêts pratiques et, d’autre part, en nous retournant « vers ce qui pratiquement ne sert à rien ». Pour ce faire, évitons toutefois de tomber dans l’ornière spéculative par excellence ; car elle nous élève « au-dessus du temps », mais nous enlève du même coup « le changement et la durée dans leur mobilité…