La profession de foi du vicaire savoyard
Le 18 novembre 1751, l’abbé Jean-Martin de Prades présenta sa thèse « Majeure Ordinaire » à la Faculté de Théologie de Paris. Auparavant, le bachelier de la Sorbonne avait soutenu avec succès trois des quatre « actes » académiques : la « tentative », le 8 janvier 1748, la « sorbonique », le 23 novembre 1750 et la « mineure », le 27 juillet 1751. Enfin, la « thèse majeure », la dernière desquatre, intitulée « À la Jérusalem céleste : quel est celui sur la face duquel Dieu a répandu le souffle de vie ? Genès. chap. 2. vers. 7. » 1, fut débattue avec ses examinateurs, huit docteurs nommés comme censeurs, pendant dix heures (de huit heures du matin à six heures du soir), au bout desquelles le candidat obtint à l’unanimité le titre de docteur. Cette étude sur « l’être humain », commel’indique le titre, développait une histoire de l’homme allant de l’analyse de l’âme jusqu’à celle de la société. Malgré sa réussite, la situation du jeune théologien changea bientôt : sa thèse fut condamnée le 26 janvier 1752 par la même Faculté, puis le 27 janvier par l’archevêque de Paris, le 11 février par le Parlement, le 27 février par l’évêque de Montauban, évêché dont dépendait de Prades, le 29 maipar l’évêque d’Auxerre et enfin le 22 mars par le pape lui-même. Selon l’arrêt du Parlement, il fut dit que l’auteur serait « pris et appréhendé au corps et mené prisonnier ès prison de la Conciergerie du Palais »2. Du fait de ces événements, l’abbé de Prades et l’abbé Yvon, son proche collaborateur de l’Encyclopédie, durent tous deux quitter la France ; c’est à partir de ce moment que Diderot sechargea de rédiger les articles théologiques du dictionnaire.
Grâce à la protection d’un ami de Voltaire, le marquis d’Argenson, l’abbé de Prades put se retirer pendant une semaine sur les terres de ce dernier, chez son curé de Saint-Sulpice de Favières, dans la paroisse de Segrez. Il se cacha ensuite en Hollande où il resta durant quelques mois tandis que D’Alembert, Voltaire et le marquisd’Argens arrangeaient son départ pour la Prusse où il pourrait vivre sous la protection de Frédéric II. Voltaire, qui était à Potsdam, s’occupa de préparer la venue du jeune théologien, et celui-ci arriva à Berlin en août 1752. Frédéric lui promit un bénéfice en Silésie, lui offrit une pension et le nomma lecteur du roi. Cette même année, l’abbé ne cessa d’affirmer son orthodoxie. Il rédigea les deuxparties de son Apologie tandis qu’une troisième fut écrite par Diderot sous le nom de l’abbé. On les publia d’abord séparément : les deux Apologies d’une part, et leur supplément. Au cours de la même année, une seconde publication les vit imprimés ensemble. Un peu plus tard, en 1754, désireux de se réconcilier avec l’Église, de Prades renia lui-même sa thèse. « L’une de ses raisons, suggère Kafker,est financière. Il voulait bénéficier du canonicat et devait donc donner un terme à sa querelle avec l’Église »3. Grâce aux bons offices de l’évêque de Breslau, capitale du duché de Silésie, et de Frédéric II, le pape Benoît XIV réintégra l’abbé et la Faculté de théologie lui restitua tous ses degrés.
La Censure de la Faculté de Théologie de Paris stigmatise formellement dix propositionsénoncées dans la thèse de l’abbé de Prades qui examine tour à tour l’essence de l’âme, les notions du bien et du mal moral, l’origine de la société, la loi naturelle et la religion révélée, l’économie du Pentateuque, les miracles de Jésus, etc. Si l’on dégage les deux principes théologiques et philosophiques de la thèse de l’abbé de Prades sur lesquels la Faculté jette son anathème, on trouve d’une partle « rationalisme » et d’autre part le « sensualisme ». La même Faculté déclare au premier chef que : « [L’impiété] entreprend de soumettre la Foi, sous qui tous les esprits doivent plier pour obéir à Jésus-Christ, à l’examen impérieux de la raison aveugle ; et s’efforce de persuader aux hommes qu’ils ne doivent rien croire au-delà de ce que les sens leur présentent, ou que les lumières…