La société contre l’etat, pierre clastres
Entretien avec Pierre Clastres
Sociétés sans Etat ou contre l’Etat
Sur le site de Réfractions
Auteur de la « Chronique des Indiens Guayaki » et de « La société contre l’Etat »
N°9 de la revue « L’ANTI-MYTHES » ‘
Anthropologie politique
Question : Qu’est-ce que, pour toi, « l’anthropologie politique »? Comment te situes-tu dans ta démarche ethnologique actuelle (notamment parrapport au structuralisme)?
Réponse : La question du structuralisme d’abord. Je ne suis pas structuraliste. mais ce n’est pas que j’aie quoi que ce soit contre le structuralisme, c’est que je m’occupe, comme ethnologue, de champs qui ne relèvent pas d’une analyse structurale a mon avis; ceux qui s’occupent de parenté, de mythologie, là apparemment ça marche, le structuralisme, et Lévi-Straussl’a bien démontré que ce soit quand il a analysé les structures élémentaires de la parenté, ou les mythologiques. Ici je m’occupe, disons, en gros, d’anthropologie politique, la question de la chefferie et du pouvoir, et là j’ai l’impression que ça ne fonctionne pas; ça relève d’un autre type d’analyse. Maintenant ceci dit il est très probable que si je prenais un corpus mythologique je seraisforcement structuraliste parce que je ne vois pas très bien comment analyser un corpus mythologique d’une manière extra-structuraliste… ou alors faire des sottises, genre la psychanalyse du mythe ou la marxisation du mythe – « Le mythe, c’est l’opium du sauvage » – mais ça, ce n’est pas sérieux.
Question : Tu ne renvoies pas seulement à la société primitive; ton interrogation sur le pouvoirest interrogation sur notre société. Qu’est-ce qui fonde ta démarche? Qu’est-ce qui justifie le passage ?
Réponse: Le passage, il est impliqué par définition. Je suis ethnologue, c’est à dire que je m’occupe des sociétés primitives, plus spécialement de celles d’Amérique du Sud où j’ai fait tous mes travaux de terrain. Alors là, on part d’une distinction qui est interne à l’ethnologie, àl’anthropologie les sociétés primitives, qu’est-ce que c’est? Ce sont les sociétés sans état. Forcément parler de sociétés sans état c’est nommer en même temps les autres, c’est à dire les sociétés à état. Où est le problème ? De quelle manière il m’intéresse, et pourquoi j’essaie de réfléchir là-dessus ? C’est que je me demande pourquoi les sociétés sans état sont des sociétés sans état et alors ilme semble m’apercevoir que si les sociétés primitives sont des sociétés sans état c’est parce qu’elles sont des sociétés de refus de l’état, des sociétés contre l’état. L’absence de l’état dans les sociétés primitives ce n’est pas un manque, ce n’est pas parce qu’elles sont l’enfance de l’humanité et qu’elles sont incomplètes, ou qu’elles ne sont pas assez grandes, qu’elles ne sont pas adultes,majeures, c’est bel et bien parce qu’elles refusent l’état au sens large, l’état défini comme dans sa figure minimale qui est la relation de pouvoir. Par là même parler des sociétés sans état ou des sociétés contre l’état, c’est parler des sociétés à état, forcément le passage, il n’y en a même pas, ou il est d’avance possible; et la question qui s’enracine dans le passage, c’est : d’où sort l’état,quelle est l’origine de l’état ? Mais c’est tout de même deux questions séparées :
– comment les sociétés primitives font-elles pour ne pas avoir l’état ?
– d’où sort l’état ?
Alors, « l’ethnologie politique » ? Si on veut dire « est-ce que l’analyse de la question du pouvoir dans les sociétés primitives, dans les sociétés sans état, peut nourrir une réflexion politique sur nospropres sociétés », certainement, mais ce n’est pas nécessaire. Je peux très bien m’arrêter à des questions sinon académiques, du moins de pure anthropologie sociale
– comment la société primitive fonctionne-t-elle pour empêcher l’état ?
– d’où sort l’état ?
Je peux m’arrêter là, et rester purement et simplement ethnologue. D’ailleurs, en gros, c’est ce que je fais. Mais il…