La vie de couple à l’époque de trajan
La vie de couple à l’époque de Trajan
Par Dominique Boies
On s’accorde généralement pour voir dans le IIe siècle de notre ère le «siècle d’or» de l’Empire romain. Pendant un siècle (96-192), on assiste à la succession paisible de six empereurs, sans meurtre d’État ni sédition militaire. Cette chance exceptionnelle tient à la personnalité des princes, mais aussi au mode de succession utilisé:l’adoption. Tacite dira qu’elle «saura chaque fois trouver le plus digne»1. Trajan est le premier de ces empereurs provinciaux, mais de vieille souche italienne, qui gouvernent le monde romain après l’épuisement de la noblesse romaine. C’est un grand soldat, un chef autoritaire, intègre et d’une parfaite simplicité de vie. Par certains côtés, c’est aussi le «vieux Romain », traditionaliste etconservateur, notamment dans le domaine des moeurs et des usages. Avec lui, Rome retrouve la paix sociale que ses prédécesseurs – et tout spécialement Domitien – avaient peu à peu détruite. Cette harmonie se traduit par une stabilisation des moeurs en général. On constate également que l’émancipation de la femme, qui s’etait produite à partir de la fin de la République, connait un certainralentissement.
Parallèlement à l’apaisement des tensions et des crises dans la vie politique, une certaine stabilisation de la condition féminine s’est effectivement imposée dans les domaines juridique et social à partir des Flaviens, et plus particulièrement sous les Antonins. Tous ces bouleversements sociaux ont affecté la conception traditionnelle du couple, mais sans véritablement toucher les aspectsplus profondément ancrés dans la mémoire collective. Qu’en est-il à l’époque de Trajan? La conception ancienne du couple où la femme était traitée en mineure avait laissé place à une nouvelle relation où les époux, au moins dans la haute société, bénéficiaient d’une grande indépendance. Sous les Antonins, cette union se fait plus sentimentale et s’intériorise2. Au-delà de cette constatation trèsgénérale, il importe de voir ce que les sources même de cette époque nous présentent. Bien sûr Plutarque affirme que l’affection doit présider à l’union3, tout comme Ulpien, quoique plus tardif, qui voit là la raison du mariage – et non pas l’harmonie sexuelle4. Mais ce sont des oeuvres qui ne traitent pas de la vie quotidienne. D’autres auteurs plus critiques de cette période ont écrit sur la femmeet sur les relations conjugales. Parmi ceux-ci Pline le Jeune5, Juvénal6 et, plus largement, Tacite7 nous présentent des visions fort différentes de la vie de couple à l’apogée de l’Empire: Autant Pline le Jeune jouit d’un parfait bonheur avec Calpurnia, autant Juvénal est satirique face au mariage et aux moeurs liées à la vie conjugale. Il semble donc que l’image est moins nette et qu’ilconvient de dégager le concept de la réalité.
Dans mon travail, je tenterai de déterminer à quel niveau se situe la réalité face au concept de l’épouse idéale. Par une correspondance qui prend au vif la réalité de Pline en comparaison avec le ton acide des satires de Juvénal, je tenterai de dresser un portrait de la conception du mariage à l’apogée de l’Empire8. Il est pertinent d’appliquer aux moeursconjugales le qualificatif général pour l’époque de Trajan, qui est considérée comme le triomphe de l’humanisme. Mais en ce qui concerne les rapports du couple, on distingue également trois composantes: deux, intemporelles, qui sont l’institution du mariage et la perception traditionnelle de la matrone; et une dernière, qui touche aux effets idéologiques de l’époque de Trajan sur la vie decouple. Ce sont ces composantes que nous examinerons et préciserons dans ce travail.
Le mariage: La survie du nom et de la lignée
Dans la haute société, les mariages sont le plus souvent arrangés et les épouses encore adolescentes au moment de l’union9. Un des plus célèbres cas dans l’histoire romaine concerne Jules César qui marie sa fille Julia à Pompée – qui est pourtant cinq ans plus âgé que…