L’art du portrait chez balzac

B- L’art du portrait.

Si les femmes se reconnaissent si bien dans les œuvres de Balzac, c’est sans doute parce qu’il peint des héroïnes proches de la réalité tant sur le plan moral que plastique. Le portrait, à cet égard, devient une donnée essentielle des écrits balzaciens.

La peinture physique d’un personnage, dans le roman, est un des moyens qui permettentd’assurer sa présence au sein du récit. Balzac est passé maître dans l’art de la description de ses héros. Bernard Vannier a remarqué « qu’environ cinq cents fois dans La Comédie humaine […], le cours de l’action semble s’interrompre pour décliner l’identité d’un personnage avant qu’il puisse prendre part à l’action »1. La description physique se présente comme un tout bien délimité. L’action du romans’interrompt soudain et cède sa place à la représentation d’un protagoniste. Bien sûr, tous les personnages ne méritent pas que le romancier leur consacre un portrait entier. Dans ce cas, Balzac se contente de faire allusion à un trait physique particulier qui tiendra lieu de description. C’est ainsi que Sylvie, la servante de Madame Vauquer restera toujours présentée comme étant « la grosseSylvie ».
Bien souvent, le portrait d’un personnage sert à amplifier les dissemblances fondamentales qui existent entre les héros. En effet, nous savons combien le physique influe sur la psychologie des protagonistes balzaciens. Le déterminisme est un élément nécessaire à la compréhension de l’univers de La Comédie humaine. Ainsi les cheveux blonds indiquent la douceur tandis que la chevelurerousse (comme celle qu’arbore Louise de Bargeton dans Illusions perdues) souligne un tempérament de feu. Les yeux bruns sont le signe de l’idéalité et de la passion. La Comédie humaine doit ainsi être décodée. « Le roman pose arbitrairement certains signes, qui ne peuvent signifier qu’en s’opposant, et en se combinant à d’autres. Les cheveux noirs appellent les cheveux blonds, chaque chevelurese combine avec des yeux bruns ou bleus »2 rappelle Bernard Vannier. Pour bien comprendre le système d’opposition binaire que Balzac instaure, il suffit de comparer dans notre corpus Anastasie et Delphine Goriot. Ces deux héroïnes, malgré leurs liens de parenté, sont antithétiques. À la brune Madame de Restaud s’oppose la blonde Delphine de Nucingen. Balzac use du même procédé dans Illusionsperdues car Louise se présente comme l’antagoniste (physique ou morale) d’Amélie, de Coralie ou bien encore d’Ève Séchard.
En outre, Balzac use fréquemment de références picturales lorsqu’il cherche à peindre précisément ses protagonistes. Philippe Berthier indique que « Balzac se propose de faire concurrence aux chefs-d’œuvre aussi bien qu’à l’état civil ; il théorise en posant un fondcommun dont les différents arts ne seraient que des phénomènes, et il ambitionne un art total, les englobant tous »3. Dans l’article qu’il consacre à Balzac et à ses relations avec la peinture, Amédée Ponceau pousse l’analyse plus loin en déclarant que :
« Balzac attendait de la peinture qu’elle procurât au littérateur l’appoint de ses ressources. Mais sans doute peut-on aussi dire qu’ilescomptait de sa part une orientation telle que le littérateur pût en tirer parti. Ce n’était pas avec n’importe quel peintre qu’il prétendait entrer en compétition ou nouer des relations artistiques profitables. C’était avec les meilleurs, c’est-à-dire les plus solides et les plus vrais. C’est à eux qu’il désirait s’adresser pour effectuer, au profit de son œuvre, une transposition »4.Rembrandt est le peintre de référence quand le romancier nous présente un vieillard. Par contre, en ce qui concerne les jeunes filles telle Esther dans Splendeurs et misères des courtisanes, les noms de Raphaël et de Titien sont les plus souvent cités. Philippe Berthier souligne à cet égard que Raphaël « suscite essentiellement un champ sémantique : sublime, céleste, divin, angélique,…