Le droit

Le droit peut-il faire abstraction de la morale ?

® Il s’agit donc de s’interroger sur la fonction du droit, sur domaine d’application. Le « peut-il » doit s’entendre en deux sens coextensifs l’un à l’autre : d’abord il s’agit de la possibilité de fait (est-il possible qu’un droit soit indépendant de toute morale ?), mais aussi, et plus profondément, sur la possibilité de droit : un droit quiferait abstraction de la morale serait-il légitime, c’est-à-dire serait-il encore un droit ?

® Il faut entendre ici le « droit » dans son sens fort de « loi ». Il s’agit en effet à proprement parler du droit positif plutôt que du droit naturel. Or, toutes les affaires humaines peuvent-elles et doivent-elles être réglées par des lois qui définissent les droits et les devoirs des individus (commecitoyens) mais qui aussi, a fortiori, implique des sanctions (pas seulement morales mais aussi, dans cette perspective, pénales) ?

Tandis que le droit naturel représente les aspirations fondamentales de l’homme telles la liberté et la justice, il n’est pas rare qu’il soit en désaccord avec le droit positif (posé, écrit). Le droit positif est le droit instauré et fait respecté par l’homme. Leslois qui le forment dépendent uniquement des hommes qui les écrivent et du moment qu’ils ont l’autorité nécessaire à leur application, elles peuvent revêtir toutes les formes. La nature finie de l’homme le fait perfectible, et la raison ne saurait être son seul guide. Assailli par ses désirs, de richesse ou de pouvoir par exemple, il peut faire toutes les lois qu’il veut à condition d’avoir laforce armée adéquate à leur maintien. Le droit positif auquel se soumettent les hommes s’éloigne alors du droit naturel ; et généralement, celui qui ordonne de telles lois est lui même le souverain, ne se soumettant pas à ce droit. Si rien qu’une personne, un individu se trouve au dessus des lois, alors le droit n’est pas juste. C’est, d’après Montesquieu, un despotisme. Pourtant, le droit positifn’est pas par nature dénué de justice. En effet, le principe de justice est un principe régulateur, dit Kant. Si on ne l’atteint jamais, on tend continuellement vers lui. Par ailleurs, le philosophe oppose deux types de politique : le moraliste politique, qui est celui qui d’une fausse morale érige un droit à son avantage, et le politique moraliste qui au contraire fait usage de la morale universellepour établir un droit juste. Théoriquement, le droit – positif – peut donc être juste, mais l’est-il toujours pour autant ? L’histoire nous apprend qu’il n’en est rien.

A travers l’observation des millénaires de tyrannie que connut (et connait encore en certains régions du monde) l’humanité, il semble évident que le droit ne soit pas toujours juste. Parfois ouvertement injuste, comme sous lerègne des monarques européens tel Louis XIV. Le droit tente néanmoins parfois de se faire passer pour juste. Prenons par exemple les cités grecques, qui nous paraissent très en avance par rapport au droit : certes, le droit est dit «juste », puisque l’on considère que tout est partie du cosmos, que tout est comme il doit l’être. En réalité, le droit est loin d’être juste puisqu’il ne s’applique pasde la même façon aux citoyens, aux femmes, aux esclaves, aux barbares etc… Plus récemment, jusqu’au milieu des années 1900, les sociétés européennes exportaient leur droit juste, fruit de la tradition des Lumières, dans les colonies à l’étranger. Mais les indigènes, notamment les algériens, n’étaient pas soumis aux lois de la même façon que les colons (car on questionnait l’essence même de leurhumanité). Dernier exemple, sous le régime nazi, les hommes pour la plupart pensaient suivre un droit juste en discriminant la communauté juive, puisqu’en toute légalité, c’était bel et bien la norme. Dans toutes ces situations, les hommes agissent légalement dans le cadre d’un droit subjectivement juste, et non légitimement avec la justice absolue. En réalité, il leur manque la conscience de…