Le mythe de sisyphe
« Le mythe de Sisyphe (extrait). » de Albert CAMUS
(…) L’une des seules positions philosophiques cohérentes, c’est ainsi la révolte. Elle est un confrontement perpétuel de l’homme et de sa propreobscurité. Elle est exigence d’une impossible transparence. Elle remet le monde en question à chacune de ses secondes. De même que le danger fournit à l’homme l’irremplaçable occasion de la saisir, demême la révolte métaphysique étend la conscience tout le long de l’expérience. Elle est cette présence constante de l’homme à lui-même. Elle n’est pas aspiration, elle est sans espoir. Cette révolten’est que l’assurance d’un destin écrasant, moins la résignation qui devrait l’accompagner.
C’est ici qu’on voit à quel point l’expérience absurde s’éloigne du suicide. On peut croire que le suicidesuit la révolte. Mais à tort. Car il ne figure pas son aboutissement logique. Il est exactement son contraire, par le consentement qu’il suppose. Le suicide, comme le saut, est l’acceptation à salimite. Tout est consommé, l’homme rentre dans son histoire essentielle. Son avenir, son seul et terrible avenir, il le discerne et s’y précipite. A sa manière, le suicide résout l’absurde. Il l’entraînedans la même mort. Mais je sais que pour se maintenir, l’absurde ne peut se résoudre. Il échappe au suicide, dans la mesure où il est en même temps conscience et refus de la mort. Il est, à l’extrêmepointe de la dernière pensée du condamné à mort, ce cordon de soulier qu’en dépit de tout il aperçoit à quelques mètres, au bord même de sa chute vertigineuse. Le contraire du suicidé, précisément,c’est le condamné à mort.
Cette révolte donne son prix à la vie. Étendue sur toute la longueur d’une existence, elle lui restitue sa grandeur. Pour un homme sans oeillères, il n’est pas de plus beauspectacle que celui de l’intelligence aux prises avec une réalité qui le dépasse. Le spectacle de l’orgueil humain est inégalable. Toutes les dépréciations n’y feront rien. Cette discipline que…