L’écriture d’invention : la lettre
Mon bien cher oncle,
Il m’est agréable que vous évoquiez cette correspondance de votre oppresseur, au sujet de laquelle j’avais manifesté quelques méfiances.
Permettez-moi d’évoquer notregrand Corneille, n’a-t-il pas écrit « Si grands que soient les rois, ils sont ce que nous sommes » ? Ce roi de Prusse n’échappe pas à cette règle et je crains fort que vous ayez été quelque peu naïf àl’égard de votre hôte.
La philosophie de l’homme de pouvoir qu’il est est bien différente de l’homme de lettres que vous êtes.
Si Frédéric vous a attiré près de lui, c’est d’abord parce qu’il avaitconnaissance de votre savoir, de votre culture, de votre philosophie, de la place que vous aviez prise, malgré quelques oppositions, auprès de notre roi, dans la littérature française, et de votreélection à l’Académie. Il comptait bien tirer de votre esprit tout ce qui lui était possible, il l’a d’ailleurs fait.
Mais peut-être vous êtes-vous laissé endormir par ce milieu dans lequel vous avezévolué avec un certain plaisir, du moins au début de votre séjour, la confiance d’un roi, les flatteries de la cour, les luxes du château… et puis bien sûr est venu le temps des désillusions, le temps dela maltraitance et de la souffrance.
Frédéric avait besoin de vous pour éclairer ses connaissances, pour poursuivre son initiation à la philosophie. Ne vous disait-il pas « Vous êtes philosophe, jele suis de même », pour profiter de votre prestige dont l’éclat pouvait lui revenir ? Et puis, lorsqu’il a eu confiance d’avoir bien pressé l’orange, il a jeté l’écorce.
Pauvre cher oncle, il estvrai que je comprends votre amertume, et vous savez la part que j’ai toujours pris dans vos souffrances, mais, sans vouloir me rapprocher des idées de M. Leibniz, qui pense, m’aviez-vous écrit unjour, que « Tout est toujours pour le mieux dans le meilleur des mondes », ne croyez-vous pas qu’il est bon de mettre en valeur le côté positif de votre séjour en Prusse ?
Vous aimiez les…