Lool
Quand c’est de la vie heureuse qu’il s’agit, n’allez pas, comme lorsqu’on se partage pour aller aux voix, me répondre : « Ce côté-ci parait être plus nombreux. » Car, c’est à cause de cela qu’il estpire. Les choses humaines ne vont pas si bien, que ce qui vaut mieux plaise au plus grand nombre : la preuve du pire, c’est la foule. Examinons quelle action est la meilleure, et non pas quelle est laplus ordinaire; quel moyen peut nous mettre en possession d’une félicité permanente, et non pas quelle chose est approuvée par le vulgaire, le pire interprète de la vérité. Sous le nom de vulgaire,je comprends et les gens en chlamyde et les personnages couronnés ; car ce n’est pas à la couleur des étoffes dont on a vêtu les corps, que je regarde ; quand il est question de l’homme, je n’en croispas mes yeux : j’ai une lumière meilleure et plus sûre pour discerner le vrai du faux. Le bien de l’âme, c’est à l’âme de le trouver. Si jamais elle a le temps de respirer et de rentrer en elle-même,oh combien, dans les tortures qu’elle se fera subir, elle s’avouera la vérité, et dira : « Tout ce que j’ai fait jusqu’à ce moment, j’aimerais mieux que cela ne fût pas fait : quand je réfléchis àtout ce que j’ai dit, je porte envie aux êtres muets; tout ce que j’ai souhaité, je le regarde comme une imprécation d’ennemis; tout ce que j’ai craint, grands dieux, combien c’était meilleur que ce quej’ai désiré! J’ai eu des inimitiés avec beaucoup d’hommes, et de la haine je suis revenue à la bonne intelligence, si toutefois elle peut exister entre les méchants; c’est de moi-même que je ne suispas encore amie. J’ai apporté tous mes soins à me tirer de la foule et à me distinguer par quelque bonne qualité : qu’ai-je fait autre chose, que de me présenter aux traits, et d’offrir à lamalveillance de quoi mordre ? » Voyez-vous ces gens qui vantent l’éloquence, qui escortent la richesse, qui flattent la faveur, qui exaltent le pouvoir ? Tous ils sont hostiles, ou, ce qui revient au même,…