M le maudit

Comment Fritz Lang présente son film…
« Contrairement à ce que beaucoup de gens croient, M n’était pas tiré de la vie de l’infâme assassin de Düsseldorf, Peter Kürten. Il se touve qu’il avait juste commencé sa série de meurtres pendant que Thea Von Harbou et moi étions en train d’écrire le scénario. Le script était terminé bien avant qu’il ne soit pris. En fait, la première idée du sujet de Mm’est venue en lisant un article dans les journaux en quête d’un point de départ pour une histoire. A cette époque, je travaillais avec la « Scotland Yard » de Berlin (à Alexenderplatz) et j’avais accès à certains dossiers dont la teneur était assez confidentielle. C’étaient des rapports sur d’innommables assassins comme Grossmann de Berlin, le terrible ogre de Hanovre (qui a tué tant de jeunesgens) et d’autres criminels de même acabit. Pour le jugement, dans M, je reçus l’aide inattendue d’une organisation de malfaiteurs parmi lesquels je m’étais fait des amis au début de mes recherches sur le film. En fait, j’ai utilisé douze ou quatorze de ces hors-la-loi, qui n’étaient pas effrayés à l’idée d’apparaître devant ma caméra car ils avaient déjà été photographiés par la police. D’autresauraient bien aimés m’aider, mais ils n’ont pas pu le faire, parce qu’ils n’étaient pas connu des brigades criminelles . J’étais en train de finir le tournage des scènes où se trouvaient donc de véritables malfaiteurs, quand j’ai été informé que la police arrivait. Je l’ai dit à mes amis mais en les priant de rester pour les deux dernières scènes. Ils acceptèrent tous et j’ai tourné très rapidement.Quand la police arriva, mes scènes étaient déjà dans la boite et mes « acteurs » avaient tous disparu dans le décor. »
(Fritz Lang, « la nuit viennoise », Cahiers du Cinéma n°179, juin 1966)
L’interprétation d’un historien du cinéma :
« On a coutume de réduire M le Maudit à son anecdote, c’est à dire de n’y voir que le cas pathologique offert par un assassin d’enfants, cas admirablement exposéet incarné par Peter Lorre avec une science de comédien qui tient du génie. On sait qu’un fait divers se trouve à la base du scénario. Il s’agit d’un sadique qui répandit la terreur en Allemagne en 1925 et qu’on désignait sous le nom de « Vampire de Dusseldorf ».
Cette manière d’envisager une œuvre (…) en diminue singulièrement la portée. Car Le Maudit dépasse de loin la simple descriptiond’une névrose individuelle pour cristalliser, avec une violence expressive exceptionnelle, à la fois l’esprit d’une époque et celui d’une société définie : en 1931, il possédait des accents prophétiques. Le caractère du meurtrier de petites filles qui se met à siffler l’air de Peter Gynt de Grieg lorsqu’il entre en crise, ne peut pas s’expliquer en effet uniquement par des considérations d’ordrepsychologique. Cet homme, rongé par la solitude et le désoeuvrement, qui rôde autour des préaux et qui offre aux enfants des sucreries ou des ballonnets, est un homme qui souffre d’abord d’un mal social. En lui, les contradictions d’un régime économique et politique atteignent un stade de virulence dangereuse et sa maladie psychique n’est en définitive que celle, personnalisée, de la la république deWeimar agonisante le long de ces rues sans joie, de ses files de chômeurs, tandis que sous le couvert du socialisme, le nationalisme revanchard plante les premiers jalons de « l’ordre nouveau ».
En face de l’anarchisme de la pègre qui lentement passe à l’organisation d’une société dans la société, d’un groupe humain fondant ses propres lois et sa propre justice contre les lois et la justice del’Etat (afin de prendre, seul, et dans le mépris, l’initiative d’écraser ceux qu’il désigne comme des cloportes) se dressent les pouvoirs policiers avec leur bureaucratie et leurs méthodes scientifiques d’investigation. Les crimes du « maudit » aboutissent donc moins à briser les règles d’une morale qu’à troubler et à dévoiler, en même temps que de primaires désirs, les relations de l’autorité…