Marcel schwob : entre fantastique et tragique. quelques modèles d’analyse du récit schwobien
Marcel Schwob :
entre fantastique et tragique.
Quelques modèles d’analyse du récit schwobien.
INTRODUCTION
Il y a des hommes nés aventuriers qui parcourent le monde, il y a des hommes devenus historiens qui explorent les époques, et puis il y a Marcel SCHWOB, né pour l’aventure qui parcourt les livres de la bibliothèque Mazarine et les Archives nationales, un hommedevenu traducteur, nouvelliste, biographe, érudit et philologue qui explore les temps de l’histoire humaine. Il est ainsi l’auteur d’une œuvre protéiforme, qu’il laisse à sa mort en 1905 : il n’avait que trente huit ans.
Il est cité par d’illustres personnages de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle. Il est bien connu des milieux artistiques et littéraires. Emile Gallé lui dédia unchat en faïence[1], Alfred Jarry lui dédia son Ubu roi. Il est reconnu entre autres écrivains par Stéphane Mallarmé, Paul Valéry, Jules Renard, Paul Claudel, Edmond de Goncourt, Tristan Bernard, Anatole France… Pour sa part, Schwob leur rend hommage en dédiant à un grand nombre d’entre eux les textes de son recueil du Roi au masque d’or[2] ; l’œuvre de Cœur Double[3] est dédiée à Robert LouisStevenson, l’auteur de L’Ile au trésor, Le cas étrange du Dr. Jekill et de Mr. Hyde. Nous devons probablement à Stevenson les recueils de nouvelles, qu’elles soient histoires ou biographies : il était véritablement vénéré par Schwob. Il semblerait que se soit lui qui ait suscité l’inspiration et l’envie de l’écriture littéraire de Marcel Schwob.
En dépit de la notoriété acquise auprès d’AndréGide et d’autres qui le prennent comme une référence littéraire, Schwob va s’éclipser peu à peu de l’histoire littéraire française[4]. Enfin avec John Alden Green[5], on assiste à sa redécouverte dans un premier temps, puis au renouveau de la parution critique sur les œuvres de Marcel Schwob[6], à raison d’un livre ou d’un article par an en moyenne. En outre, il est intéressant de constater queMarcel Schwob semble revenir au goût du jour par le regain d’intérêt qu’il suscite grâce, en partie, à la critique étrangère qui n’a jamais faiblie envers notre auteur. Avec conviction et satisfaction, nous attendons un retour prochain en France[7], cette fois en tant qu’auteur classique.
Schwob a pourtant bien participé à la littérature. D’abord il s’est adonné au fantastique, bien sûr dans saproduction, mais aussi dans son renouvellement, et surtout dans son exploration, sa formalisation. Il est question de voir ici ce qu’il en est.
« Au temps de l’universel et des foules, de la statistique et de l’imitation, Schwob voulut assurer le fantôme de l’Individu comme épiphanie discrète de l’Unique. A la science balzacienne, héritière des physiologies des années 1840, il opposele trait qui déclasse. »[8]
On observe dans ce propos une similitude avec les remarques de Baudelaire dans les « Notes nouvelles sur Edgar Poe » : « le lecteur surprendra dans plusieurs des nouvelles de Poe des symptômes curieux de ce goût immodéré pour les belles formes, surtout pour les belles formes singulières. »[9]
Le XIXe siècle est la période des bouleversements idéologiques comptetenu de l’effondrement de toutes les anciennes certitudes concernant la nature de l’homme et sa place dans le monde : « nous ne sommes pas les seuls individus de cet univers »[10]. C’est une époque d’interrogations de l’homme sans Dieu. C’est cela qui va permettre la naissance des fantastiques, des merveilleux étranges et purs, et ce n’est qu’à cette lumière que peut se comprendre le Fantastique.Marcel Schwob écrit au moment où une forte production de nouvelles et de contes parait, soit entre 1884 et 1898. C’est l’époque de Maupassant, d’Henry James, de la parution de L’étrange cas du Dr. Jekill et de Mr. Hyde ; Cœur Double étant daté de 1891. Joël Malrieux précise l’orientation que prend le fantastique : « il prend un tour de plus en plus formel, apparaît comme l’occasion d’un pur…