Périclès

Pour faire l’éloge des premières victimes, ce fut Périclès, fils de Xanthippos, qui fut
choisi. Le moment venu, il s’éloigna du sépulcre, prit place sur une estrade élevée à
dessein, pour que la foule pût l’entendre plus facilement, et prononça le discours suivant :

XXXV. – « La plupart de ceux qui avant moi ont pris ici la parole ont fait un mérite au
législateur d’avoir ajouté auxfunérailles prévues par la loi l’oraison funèbre en l’honneur
des guerriers morts à la guerre. Pour moi, j’eusse volontiers pensé qu’à des hommes dont la
vaillance s’est manifestée par des faits, il suffisait que fussent rendus, par des faits
également, des honneurs tels que ceux que la république leur a accordés sous vos yeux; et
que les vertus de tant de guerriers ne dussent pas êtreexposées, par l’habileté plus ou
moins grande d’un orateur à trouver plus ou moins de créance. Il est difficile en effet de
parler comme il convient, dans une circonstance où la vérité est si difficile à établir dans
les esprits. L’auditeur informé et bienveillant est tenté de croire que l’éloge est
insuffisant[…]
XXXVI. – « Je commencerai donc par nos aïeux. Car il est juste et équitable, dansde telles
circonstances, de leur faire l’hommage d’un souvenir. Cette contrée, que sans interruption
ont habitée des gens de même race est passée de mains en mains jusqu’à ce jour, en
sauvegardant grâce à leur valeur sa liberté. Ils méritent des éloges; mais nos pères en
méritent davantage encore. A l’héritage qu’ils avaient reçu, ils ont ajouté et nous ont
légué, au prix de millelabeurs, la puissance que nous possédons. Nous l’avons accrue, nous
qui vivons encore et qui sommes parvenus à la pleine maturité. C’est nous qui avons mis la
cité en état de se suffire à elle-même en tout dans la guerre comme dans la paix[…]
XXXVII. – Notre constitution politique n’a rien à envier aux lois qui régissent nos voisins; loin d’imiter les autres, nous donnons l’exemple à suivre. Dufait que l’Etat, chez nous, est administré dans l’intérêt de la masse et non d’une minorité, notre régime a pris le nom de démocratie. En ce qui concerne les différends particuliers, l’égalité est assurée à tous par les lois; mais en ce qui concerne la participation à la vie publique, chacun obtient
la considération en raison de son mérite, et la classe à laquelle il appartient importe
moinsque sa valeur personnelle; enfin nul n’est gêné par la pauvreté et par l’obscurité de
sa condition sociale, s’il peut rendre des services à la cité. La liberté est notre règle
dans le gouvernement de la république et dans nos relations quotidiennes la suspicion n’a
aucune place; nous ne nous irritons pas contre le voisin, s’il agit à sa tête; enfin nous
n’usons pas de ces humiliations qui,pour n’entraîner aucune perte matérielle, n’en sont pas
moins douloureuses par le spectacle qu’elles donnent. La contrainte n’intervient pas dans
nos relations particulières; une crainte salutaire nous retient de transgresser les lois de
la république; nous obéissons toujours aux magistrats et aux lois et, parmi celles-ci,
surtout à celles qui assurent la défense des opprimés et qui, touten n’étant pas codifiées,
impriment à celui qui les viole un mépris universel […]
XLI. – « En un mot, je l’affirme, notre cité dans son ensemble est l’école de la Grèce et, à considérer les individus, le même homme sait plier son corps à toutes les circonstances avec une grâce et une souplesse extraordinaires. Et ce n’est pas là un vain étalage de paroles, commandées par les circonstances,mais la vérité même; la puissance que ces qualités nous ont permis d’acquérir vous l’indique. Athènes est la seule cité qui, à l’expérience, se montre supérieure à sa réputation; elle est la seule qui ne laisse pas de rancune à ses ennemis, pour les défaites qu’elle leur inflige, ni de mépris à ses sujets pour l’indignité de leurs maîtres.
« Cette puissance est affirmée par d’importants…