Point de lendemain
Point de lendemain.
Vivan Denon
Résumé :
Point de Lendemain est une courte nouvelle libertine de Vivan Denon, non signée (seulement avec les initiales, M.D.G.O.D.R. pour Monsieur Denon, gentilhomme ordinaire du roi). Sans doute par pure discrétion d’un auteur qui n’a jamais caché que l’intrigue était authentique.
Vivant Denon met en scène dans ce conte les premières aventuresamoureuses d’un jeune homme ignorant tout des subtilités du monde aristocratique (récit d’une éducation libertine).
Emblème du style rococo[1], Point de lendemain en possède toutes les caractéristiques : art du plaisir, reflet d’une société préservée cultivant les loisirs, instantanéité (tout est esquissé), condensé de sensations fugitives, surenchère de la jouissance, du luxe et de la décoration,et, enfin, dimension spirituelle assez restreinte.
1) Le héros-narrateur, jeune et naïf, apprend par l’expérience les règles du monde aristocratique, érotique et élusif qu’il découvre. Quand il se rend à l’Opéra (au tout début), il n’y arrive pas en retard comme il se doit, croyant ingénûment y aller pour assister à une représentation, quand personne n’y vient que pour observer, s’informerdes nouvelles, entreprendre quelque discussion dans le monde : certainement pas pour voir un spectacle. Ingénu et s’étonnant de tout, le narrateur (qui endosse le personnage du héros) est manipulé par la comtesse de …, bien plus au fait que lui du code implicite du libertinage, et influencé par tout ce qui l’entoure : décors ou ameublement érotiques et luxuriants, ambiance d’alcôve, jardins àl’écart et pièces secrètes.
J’aimais éperdument la comtesse de *** ; j’avais vingt ans, et j’étais ingénu ; elle me trompa ; je me fâchai ; elle me quitta. J’étais ingénu, je la regrettai ; j’avais vingt ans, elle me pardonna ; et comme j’avais vingt ans, que j’étais ingénu, toujours trompé, mais plus quitté, je me croyais l’amant le mieux aimé, partant le plus heureux des hommes. Elleétait amie de T…, qui semblait avoir quelques projets sur ma personne, mais sans que sa dignité fût compromise. Comme on le verra, madame de T… avait des principes de décence, auxquels elle était scrupuleusement attachée.
Un jour que j’allais attendre la comtesse dans sa loge, je m’entends appeler de la loge voisine. N’était-ce pas encore la décente madame de T… ? «Quoi ! déjà ! me dit-on.Quel désoeuvrement ! Venez donc près de moi». J’étais loin de m’attendre à tout ce que cette rencontre allait avoir de romanesque et d’extraordinaire. On va vite avec l’imagination des femmes, et dans ce moment, celle de madame de T… fut singulièrement inspirée. «Il faut, me dit-elle, que je vous sauve le ridicule d’une pareille solitude ; puisque vous voilà, il faut … l’idée est excellente. Ilsemble qu’une main divine vous ait conduit ici. Auriez-vous par hasard des projets pour ce soir ? Ils seraient vains, je vous en avertis ; point de questions, point de résistance… appelez mes gens. Vous êtes charmant». Je me prosterne… on me presse de descendre, j’obéis. «Allez chez monsieur, dit-on à un domestique ; avertissez qu’il ne rentrera pas ce soir…» Puis on lui parle à l’oreille,et on le congédie. Je veux hasarder quelques mots, l’opéra commence, on me fait taire : on écoute, ou l’on fait semblant d’écouter. A peine le premier acte est-il fini, que le même domestique rapporte un billet à madame de T…, en lui disant que tout est prêt. Elle sourit, me demande la main, descend, me fait entrer dans sa voiture, et je suis déjà hors de la ville avant d’avoir pu m’informer dece qu’on voulait faire de moi.
2) Départ de Mdme de T et du narrateur. Voyage en voiture jusqu’au château de M de T.
Pour admirer ensemble, comme de raison, nous nous penchions à la même portière ; le mouvement de la voiture faisait que le visage de madame de T… et le mien s’entretouchaient. Dans un choc imprévu, elle me serra la main, et moi, par le plus grand hasard du monde, je…