Rabelais theleme

Rabelais, « Thélème », Gargantua.
Toute leur vie était ordonnée non selon des lois, des statuts ou des règles, mais selon leur bon vouloir et leur libre arbitre. Ils se levaient quand bon leursemblait, buvaient, mangeaient, travaillaient, et dormaient quand le désir leur en venait. Nul ne les réveillait, nul ne les contraignait à boire, à manger, ni à faire quoi que ce soit. Ainsi enavait décidé Gargantua. Pour toute règle, il n’y avait que cette clause, Fais ce que voudras ; parce que les gens libres, bien nés et bien éduqué, vivant en bonne compagnie, ont par nature un instinct, unaiguillon qui les pousse toujours à la vertu et les éloigne du vice, qu’ils appelaient honneur. Ces gens-là, quand ils sont opprimés et asservis par une honteuse sujétion et par la contraint,détournent cette noble inclination par laquelle ils tendaient librement à la vertu, vers le rejet et la violation du joug de servitude ; car nous entreprenons toujours ce qui nous est interdit et nousconvoitons ce qui nous est refusé.
C’est cette liberté même qui les poussa à une louable émulation : faire tous ce qu’ils voyaient faire plaisir à un seul. Si l’un ou l’une d’entre eux disait : «Buvons », ils buvaient tous ; s’il disait : « Jouons », tous jouaient ; s’il disait : « Allons nous ébattre aux champs » tous y allaient. S’il s’agissait de chasser à courre ou au vol, les dames, montéessur de belles haquenées suivies du palefroi de guerre, portaient sur leur poing joliment gantelé un épervier, un laneret ou un émerillon. Les hommes portaient les autres oiseaux.
Ils étaient sibien éduqués qu’il n’y avait parmi eux homme ni femme qui ne sut lire, écrire, chanter, jouer d’instruments de musique, parler cinq ou six langues et y composer, tant en vers qu’en prose. Jamais onvit de chevaliers si vaillants, si hardis, si adroits au combat à pied ou à cheval, plus vigoureux, plus agiles, maniant mieux les armes que ceux-là ; jamais on vit de dames si fraiches, si jolies,…