Rat des villes et rat des champs
Autrefois le Rat de ville
Invita le Rat des champs,
D’une façon fort civile,
A des reliefs d’Ortolans.
Sur un Tapis de Turquie
Le couvert se trouva mis.
Je laisse à penser la vie
Que firentces deux amis.
Le régal fut fort honnête,
Rien ne manquait au festin ;
Mais quelqu’un troubla la fête
Pendant qu’ils étaient en train.
A la porte de la salle
Ils entendirent du bruit :
Le Rat deville détale ;
Son camarade le suit.
Le bruit cesse, on se retire :
Rats en campagne aussitôt ;
Et le citadin de dire :
Achevons tout notre rôt.
— C’est assez, dit le rustique ;
Demain vousviendrez chez moi :
Ce n’est pas que je me pique
De tous vos festins de Roi ;
Mais rien ne vient m’interrompre :
Je mange tout à loisir.
Adieu donc ; fi du plaisir
Que la crainte peut corrompre.Jean de La Fontaine, Fable IX, Livre I.
Le canevas de départ de cette fable est à rechercher à la fois chez Aphtonius et chez un auteur anonyme. La description du thème a été reprise d ’Horace («Satires », II, 4 ; dans ce texte, Catius et Horace discutent de la mémoire ; Horace décrit par cœur une table particulièrement bien garnie). La Fontaine traite ici un lieu commun – que nousretrouverons dans d’autres fables – entre les tracas de la ville et la quiétude de la campagne. Et il prend position lui, le maître des Eaux et Forêts qui pouvait rester assis sous un arbre sans voir tomber lanuit, prend évidemment parti pour le calme de la vie à la campagne, position qu’il a déjà défendue dans « Le Songe de Vaux » (fragment II, harangue d’Hortésie) ou dans les « Relations d’un Voyage enLimousin ». Les fables « Le Songe d’un Habitant du Mogol » (Livre XI, fable 4) ainsi que « Le Juge arbitre, l’Hospitalier et le Solitaire » argumenteront dans le même sens.
Comme dans bien d’autrespièces, La Fontaine montre une certaine tactique des faibles face aux puissants, ici la fuite du rat des champs face à un bruit.
Le poème est composé d’heptasyllabes à rimes croisées, sauf dans le…