Samuel beckett
| Samuel Barclay Beckett est né le 13 avril 1906, il y a donc exactement 70 ans, dans un faubourg de Dublin comme deuxième fils d’une famille protestante aisée.
Il fait des études brillantes, devient lecteur à l’Ecole normale supérieure de Paris, assistant de français au Trinity College de Dublin et finit par abandonner la profession d’enseignant. Commencent alors des années de migration etde pèlerinage qui le font se fixer finalement à Paris et vivre de son travail d’écrivain; vivre tant bien que mal, puisque sa gloire ne remonte qu’aux années 50.
Il est auteur bilingue dans le vrai sens du terme: ses premiers livres et ses textes récents sont en anglais, le reste de son œuvre a été directement écrit en français, et Beckett a fait lui-même les traductions d’une langue à l’autre;il a ainsi connu tous les problèmes que posent la langue. Ils seront à la base d’une philosophie, la langue seule nous permettant de nous connaître, la langue, système défaillant de signes. |
Ses premiers écrits mettent en évidence Belacqua, figure prise chez Dante, qui a accepté d’attendre de pouvoir entrer au Purgatoire; chez Beckett il est « embourbé » dans l’indolence. Héros passif, dégoûté dela condition d’être et d’être-là, il incarne un des aspects, un des pôles situationnels des figures beckettiennes, comme Murphy qui préfère se tenir dans la position de Balacqua, la position embryonnaire, cette position qui représente le mieux l’état idéal de l’être, l’état de foetus dans le ventre maternel: l’être y est logé, nourri, protégé. Il est hors d’atteinte, le corps y a une position decalme et d’attente. Cette position hante l’œuvre de Beckett (Belacqua, Murphy, Estragon, l’enfant dans « Fin de Partie », A et B dans « Acte sans paroles II », O dans « Film », le quatrième groupe dans le « Dépeupleur », Henry dans « Cendres », le narrateur dans « Comment c’est », les corps dans les textes ultimes de Beckett).
L’autre pôle est formé par les éternels migrateurs, ceux qui sont et sesavent « expulsés » d’un « royaume » où ils avaient connu la quiétude heureuse de l’anéantissement dans l’immobilité. Obligés de marcher, de s’en aller, d’errer à la recherche du moment où ils pourraient s’abandonner à leur annihilissement, ils sont continuellement tendus vers le repli sur eux-mêmes, le retour au néant. On aura compris très vite en lisant Beckett que ces figures, ces souffre-douleur dans laconscience de l’être-là, sont des personnages purement imaginaires, fruits d’un cerveau qui travaille, conditionné par la prise de conscience qu’il a faite de l’horreur de la vie, de l’être expulsé hors du royaume protégé de la matrice et obligé de tendre vers une fin qui ne finit pas de finir.
Or, tendre vers la fin, c’est dépérir, c’est voir ses membres, ses organes, ses facultés physiques etintellectuelles décrépir. C’est aussi se sentir incapable de cerner par les mots, la seule ressource que nous ayons, le « Je »: le langage est incapable de restituer les données de l’expérience, même et parce que l’on sait que le discours est l’unique façon d’être.
Parler n’est pas un plaisir, mais une peine, un « pensum ». Le processus de parler et d’écrire, l’obligation de le faire qui seretrouve dans toutes les oeuvres de Beckett, notamment encore dans le théâtre où le « je » cherche un « tu » pour se sentir être (d’où les couples, tels Vladimir / Estragon et Pozzo / Lucky dans « En attendant Godot », Hamm / Clov dans « Fin de Partie. Krapp et son magnétophone (son « alter ego »), dans « La dernière bande », Winnie / Willie dans « ,Oh les beaux jours »), ce processus est un processus douloureux.Il fait partie de la souffrance de vivre, et la peine de la parole ne peut pas s’arrêter, car du moment qu’on possède le langage, on ne peut plus s’en passer. Mais c’est une possession douloureuse. Elle est liée à la mémoire, et celle-ci participe à la détérioration générale: elle aussi devient défaillante (cf. Krapp, Winnie, Madame Rooney dans « Tous ceux qui tombent », Didi et Gogo, Hamm). …