Santé et prison

Document 58 de 800

Droit pénal n° 6, Juin 2010, alerte 30

Prison et troubles mentaux : comment remédier aux dérives du système français ?

Focus par William ROUMIER

Sommaire

Rapp. information n° 434 fait au nom de la Commission des lois et de la Commission des affaires sociales du Sénat

On observe, dans les prisons françaises, une proportion très élevée de personnes atteintesde troubles mentaux dont la prise en charge n’est pas assurée de manière satisfaisante dans l’univers carcéral. Sur la base de ce constat, les commissions des lois et des affaires sociales du Sénat ont constitué un groupe de travail commun chargé d’analyser les causes de cette situation (évolution du cadre juridique, réduction de l’offre de soins hospitaliers psychiatriques, conduite des expertisespsychiatriques…) et les conditions dans lesquelles les soins sont dispensés aux auteurs d’infractions atteints de troubles mentaux. Après avoir procédé à une cinquantaine d’auditions et effectué plusieurs déplacements, notamment en Suisse et en Belgique, ce groupe de travail explore, dans son rapport, les pistes susceptibles de mieux encadrer la responsabilité pénale des malades mentaux etd’améliorer la prise en charge de ces personnes, dans leur intérêt et celui de la société.

Les prisons françaises connaissent une très forte proportion de personnes atteintes de troubles mentaux. – Selon une enquête épidémiologique menée entre 2003 et 2004, le taux de détenus souffrant de schizophrénie atteindrait 8 % contre 1 % dans la population générale. La proportion de personnes atteintes detroubles mentaux les plus graves (schizophrénie ou autres formes de psychoses), pour lesquelles la peine n’a guère de sens, représenterait 10 % de la population pénale. A-t-elle augmenté dans la période récente ? De nombreux experts tendent à répondre par l’affirmative mais, faute de statistiques, ce sentiment ne s’appuie sur aucune donnée objective. Toutefois, plusieurs facteurs concourent à lareconnaissance plus fréquente de la responsabilité pénale des personnes atteintes de troubles mentaux :

– L’évolution du cadre juridique. – Alors que l’article 64 du Code pénal de 1810 posait le principe de l’irres-ponsabilité pénale du « dément », le Code pénal de 1994 a distingué l’abolition du discernement au moment des faits en raison d’un trouble psychique entraînant l’irresponsabilité (C.pén., art. 122-1, al. 1er) et l’altération du discernement qui n’exonère pas l’auteur des faits de sa responsabilité, la juridiction devant cependant tenir compte de cette situation lorsqu’elle détermine la peine et en fixe le régime (C. pén., art. 122, al. 2). Ces dispositions ont-elles favorisé le mouvement de responsabilisation pénale ? Contrairement à une idée reçue et bien que les statistiquessoient fragmentaires, si le nombre de non-lieu a baissé en valeur absolue, la part de ceux motivés par l’article 122-1 est restée stable (5 % du total). Il n’est donc pas démontré que l’évolution du cadre juridique ait provoqué une diminution du nombre de reconnaissances d’irresponsabilité pénale. En revanche, de l’avis concordant de magistrats et d’experts, l’altération du discernement, conçu parle législateur comme une cause d’atténuation de responsabilité, a constitué en pratique, paradoxalement, un facteur d’ag-gravation de la peine allongeant la durée d’emprisonnement de personnes atteintes de troubles mentaux.

– La réduction de l’offre de soins psychiatriques en hospitalisation complète. – Entre 1985 et 2005, la capacité d’hospitalisation en psychiatrie générale est passée de 129500 à 89 800 lits et places. Il en serait résulté, de manière dommageable, une tendance des experts à refuser l’irresponsabilité d’auteurs d’infractions afin d’éviter de mobiliser un lit d’hospitalisation. En outre, l’inégale répartition des soins psychiatriques sur le territoire ne permet pas de garantir le suivi des personnes fragilisées susceptibles de passer à l’acte.

– L’absence…