Stirner et nietzsche

STIRNER ET NIETZSCHE
THÈSE
Présentée à la Faculté des Lettres de l’Université de Paris

Société nouvelle de librairie et d’édition
1904

Sommaire
Introduction
Chapitre 1er.
Nietzsche a-t-il connu Stirner ?
Chapitre II .
Comparaison entre les idées de Stirner
et les idées de Nietzsche dans sa première période.
a) l’Unique
b) L’Éducation
c) La Philosophie et l’Art
d)Histoire de la Civilisation
e) L’État
Chapitre III.
Comparaison entre les idées de Stirner
et les idées de Nietzsche dans sa deuxième période.
a) L’Égoïsme
b) La Tradition et la Liberté
c) L’Immoralisme
d) Le Droit
e) L’Anarchisme
Chapitre IV.
Comparaison entre les idées de Stirner
et les idées de Nietzsche dans sa troisième période.
a) L’Individu et l’Aristocratie
b)L’Anarchie et la Discipline
c) La Jouissance et le But
d) Le Moi et la Volonté de puissance
e) Le Christianisme
Conclusion
Notes
Appendice : Liste inédite des livres empruntés par Nietsche à la Bibliothèque de Bâle (1869-1879).

À MONSIEUR LUCIEN HERR
Témoignage de reconnaissance affectueuse.

INTRODUCTION
Il s’est produit dans la deuxième moitié du XIXe siècle une réaction contrel’individualisme. Les théories morales les plus répandues, par exemple celle d’Auguste Comte en France, celle de John Stuart Mill en Angleterre, celle de Schopenhauer en Allemagne, avaient ce caractère commun de pêcher l’altruisme. Les philosophes tenaient-ils à garder la morale chrétienne au moment où ils renonçaient à la foi, ou se croyaient-ils obligés, comme l’a soutenu Nietzsche, de semontrer plus désintéressés que les chrétiens eux-mêmes ? Toujours est-il qu’ils condamnaient l’égoïsme et l’isolement de l’individu. De même, en politique, on insistait sur les liens nationaux ou sociaux qui unissent les individus, et on prêchait la solidarité.
Or, vers 1890, on commença à parler en Allemagne de deux philosophies qui n’admettaient ni l’altruisme moral si la solidarité sociale.Stirner, qui n’avait joui de son vivant que d’une gloire éphémère, venait d’être ressuscité par un disciple fanatique, J.-H. Mackay, qui voyait dans l’auteur de l’Unique et sa propriétéle théoricien de l’anarchisme contemporain.
D’autre part, Nietzsche, si longtemps «inactuel», s’imposait à l’opinion publique au moment même où la maladie triomphait définitivement de sa raison, et devenait peu à peuun des favoris de cette mode européenne qu’il avait si durement jugée.
Il était naturel qu’on rapprochât les noms de ces deux philosophes, dont les idées s’opposaient si nettement aux idées courantes ; on s’habitua à voir en Stirner un précurseur de Nietzsche. Mais il y a lieu de se demander si cette habitude est justifiée. Est-il vrai d’abord que Stirner ait eu une influence sur Nietzsche ?Est-il juste ensuite de considérer leurs philosophies comme deux systèmes analogues et animés du même esprit ? Est-ce à bon droit qu’on rattache Nietzsche à Stirner, et qu’on parle d’un courant individualiste, anarchiste ou immoraliste ?

Chapitre premier
NIETZSCHE A-T-IL CONNU STIRNER ?
On ne rencontre le nom de Stirner ni dans les œuvres, ni dans la correspondance de Nietzsche. Mme E.Förster-Nietzsche, dans la biographie si minutieuse qu’elle a consacrée à son frère, ne parle pas de l’auteur de l’Unique et sa propriété.L’œuvre de Stirner était d’ailleurs à peu près oubliée jusqu’au moment où J.-H. Mackay entreprit de la célébrer. J.-H. Mackay nous dit lui-même qu’il ne lut pour la première fois le nom de Stirner et le titre de son ouvre qu’en 1888 : c’est l’année même où l’esprit deNietzsche sombrait dans la folie. En 1888, Mackay trouva le nom de Stirner dans l’Histoire du Matérialisme,de Lange, qu’il lut au British Museum, à Londres ; puis il se passa un an avant qu’il rencontrât de nouveau ce nom qu’il avait soigneusement noté. Jusqu’à cette date, Stirner était donc bien mort : il doit à Mackay une sorte de résurrection.
Il est certain que Nietzsche a recommandé à l’un…