Textes pour oral

Séquence 1 : Personnages de bonnes et de valets 1. L’île des esclaves, Marivaux, 1725

La scène est dans l’île des Esclaves. Le théâtre représente une mer et des rochers d’un côté, et de l’autre quelques arbres et des maisons. Scène première Iphicrate s’avance tristement sur le théâtre avec Arlequin. Iphicrate Cela est vrai. Iphicrate, après avoir soupiré. Arlequin ! Arlequin Eh ! encorevit-on. Arlequin, avec une bouteille de vin qu’il a à sa ceinture. Mon patron ! Iphicrate Mais je suis en danger de perdre la liberté, et peut-être la vie : Arlequin, cela ne te suffit-il pas pour me plaindre ? Iphicrate Que deviendrons-nous dans cette île ? Arlequin, prenant sa bouteille pour boire. Ah ! je vous plains de tout mon cœur, cela est juste. Arlequin Nous deviendrons maigres, étiques, etpuis morts de faim ; voilà mon sentiment et notre histoire. Iphicrate Suis-moi donc. Iphicrate Nous sommes seuls échappés du naufrage ; tous nos camarades Arlequin siffle. Hu, hu, hu. ont péri, et j’envie maintenant leur sort. Iphicrate Arlequin Hélas ! ils sont noyés dans la mer, et nous avons la même Comment donc ! que veux-tu dire ? commodité. Arlequin, distrait, chante. Tala ta lara. IphicrateDis-moi : quand notre vaisseau s’est brisé contre le rocher, quelques-uns des nôtres ont eu le temps de se jeter dans la Iphicrate chaloupe ; il est vrai que les vagues l’ont enveloppée : je ne sais Parle donc, as-tu perdu l’esprit ? à quoi penses-tu ? ce qu’elle est devenue ; mais peut-être auront-ils eu le bonheur d’aborder en quelque endroit de l’île, et je suis d’avis que nous les Arlequin,riant. Ah, ah, ah, Monsieur Iphicrate, la drôle d’aventure ! je vous cherchions. plains, par ma foi, mais je ne saurais m’empêcher d’en rire. Arlequin Cherchons, il n’y a pas de mal à cela ; mais reposons-nous Iphicrate, à part les premiers mots. auparavant pour boire un petit coup d’eau-de-vie : j’ai sauvé ma (Le coquin abuse de ma situation ; j’ai mal fait de lui dire où pauvre bouteille, la voilà ;j’en boirai les deux tiers, comme de nous sommes.) Arlequin, ta gaieté ne vient pas à propos ; marchons de ce côté. raison, et puis je vous donnerai le reste. Iphicrate Eh ! ne perdons point de temps ; suis-moi : ne négligeons rien Arlequin pour nous tirer d’ici. Si je ne me sauve, je suis perdu ; je ne J’ai les jambes si engourdies. reverrai jamais Athènes, car nous sommes dans l’île desEsclaves. Iphicrate Avançons, je t’en prie. Arlequin Oh ! oh !qu’est-ce que c’est que cette race-là ? Arlequin Je t’en prie, je t’en prie ; comme vous êtes civil et poli ; c’est l’air du pays qui fait cela. Iphicrate Ce sont des esclaves de la Grèce révoltés contre leurs maîtres, et qui depuis cent ans sont venus s’établir dans une île, et je crois Iphicrate que c’est ici : tiens, voici sans doutequelques-unes de leurs cases Allons, hâtons-nous, faisons seulement une demi-lieue sur la côte ; et leur coutume, mon cher Arlequin, est de tuer tous les maîtres pour chercher notre chaloupe, que nous trouverons peut-être avec une partie de nos gens ; et en ce cas-là, nous nous rembarquerons qu’ils rencontrent, ou de les jeter dans l’esclavage. avec eux. Arlequin Eh ! chaque pays a sa coutume ; ilstuent les maîtres, à la bonne Arlequin, en badinant. heure ; je l’ai entendu dire aussi, mais on dit qu’ils ne font rien Badin, comme vous tournez cela ! Il chante : aux esclaves comme moi. L’embarquement est divin

Quand on vogue, vogue, vogue, L’embarquement est divin, Quand on vogue avec Catin. Iphicrate, retenant sa colère. Mais je ne te comprends point, mon cher Arlequin.

Arlequin, riant.Ah ! ah ! vous parlez la langue d’Athènes ; mauvais jargon que je n’entends plus. Iphicrate Méconnais-tu ton maître, et n’es-tu plus mon esclave ?

Arlequin Mon cher patron, vos compliments me charment; vous avez coutume de m’en faire à coups de gourdin qui ne valent pas ceux- Arlequin, se reculant d’un air sérieux. Je l’ai été, je le confesse à ta honte ; mais va, je te le pardonne ; là ; et…