Zone g. apollinaire
« Zone »
À la fin tu es las de ce monde ancien Bergère ô tour Eiffel le troupeau des ponts bêle ce matin Tu en as assez de vivre dans l’antiquité grecque et romaine Ici même les automobiles ont l’air d’être anciennesLa religion seule est restée toute neuve la religionEst restée simple comme les hangars de Port-Aviation Seul en Europe tu n’es pas antique ô ChristianismeL’Européen le plus modernec’est vous Pape Pie XEt toi que les fenêtres observent la honte te retientD’entrer dans une église et de t’y confesser ce matinTu lis les prospectus les catalogues les affiches qui chantent tout hautVoilà la poésie ce matin et pour la prose il y a les journauxIl y a les livraisons à 25 centimes pleines d’aventures policièresPortraits des grands hommes et mille titres divers J’ai vu ce matin unerue dont j’ai oublié le nom
Neuve et propre du soleil elle était le claironLes directeurs les ouvriers et les belles sténodactylographesDu lundi matin au samedi soir quatre fois par jour y passentLe matin par trois fois la sirène y gémitUne cloche rageuse y aboie vers midiLes inscriptions des enseignes et des muraillesLes plaques les avis à la façon des perroquets criaillentJ’aime la grâce de cetterue industrielleSituée à Paris entre la rue Aumont-Thiéville et l’avenue des Ternes
Intro: Zone est le poème d’ouverture du recueil Alcools de G. Apollinaire. C’est en changeant le titre du recueil Eau de vie en Alcools et en décidant de supprimer toute ponctuation que l’auteur rajoute en tête de l’ouvrage le poème Zone, dernier écrit de l’ensemble : il donne ainsi à son recueil une orientationphilosophique. On est frappé par l’apparence du poème : certains vers sont détachés, d’autres regroupés en strophes ; il n’y a pas réellement de régularité. Ce sont des vers libres (pas de mètres réguliers), les lois de la versification ne sont pas respectées. Ces vers riment à peine : ils sont assonancés. Pas de ponctuation. Le poème n’est pas complètement déroutant, mais apparaît quelquefoisbizarre.
I) L’innovation poétique :
1.1) Une énonciation originale
? Les repères sont brouillés (de temps, de personne), il n’apparaît pas d’ordre logique dans le déroulement du poème.a) Indice personnel « je » = poète (vers 15 et 23)b) Indice personnel « tu » : le christianisme est personnifié et Appolinaire s’adresse directement à lui à la deuxième personne du singulier (vers 7).Dialoguefictif entre le poète (« je ») et le christianisme, ainsi que le Pape.Enonciation personnelle complexe et propice aux ambiguïtés.c) Indices temporels : « Ce matin » est employé à la fois avec des verbes au présent (énonciation immédiate), mais aussi avec un verbe au passé composé. On peut donc se demander où sont situées les paroles du poète.Tous les repères sont brouillés, d’autant plus que la ponctuationest inexistante ? décalage constant, effort de représentation de la part du lecteur. Représentation de la réalité fragmentaire. A partir du vers 16, évocation du rythme hebdomadaire et quotidien de la rue industrielle. Ce matin / Le matin ? précis ? en général.Mais l’innovation du poème se trouve aussi dans l’écriture.
1.2) L’écritureAbsence de rimes : dans ce début dupoème Zone, Apollinaire se contente d’assonances ou de rimes pauvres.L’auteur use de rythmes qui n’apparaissent pas classiques : vers libres, pas de mètres particuliers, mais aussi vers plus longs (± 15 syllabes). Ceci va à l’encontre des habitudes des poètes de l’époque. Pourtant, il s’agit bien d’un poème, comme le montre le vocabulaire potique utilisé par Apollinaire.C’est lui le premier àsupprimer la ponctuation.Vocabulaire remarquable : nombreuses expressions familières, banales : « il y a », « prospectus », …? risque de mettre en péril la qualité poétique du texte.Ce vocabulaire est introduit dans la poésie, car elle fait l’éloge du quotidien, de la vie moderne.
II) L’éloge du quotidien, de la modernité
2.1) Le monde nouveau, opposé au « monde ancien », à…