Saint-exupéry, vol de nuit
« Le héros de Vol de nuit, non déshumanisé, certes, s’élève à une vertu surhumaine. Je crois que ce qui me plaît surtout dans ce récitfrémissant, c’est sa noblesse. Les faiblesses, les abandons, les déchéances de l’homme, nous les connaissons de reste et la littérature de nos jours n’estque trop habile à les dénoncer ; mais ce surpassement de soi qu’obtient la volonté tendue, c’est là ce que nous avons surtout besoin qu’on nousmontre.
Plus étonnante encore que la figure de l’aviateur, m’apparaît celle de Rivière, son chef. Celui-ci n’agit pas lui-même : il fait agir,insuffle à ses pilotes sa vertu, exige d’eux le maximum et les contraint à la prouesse. Son implacable décision ne tolère pas la faiblesse et, parlui, la moindre défaillance est punie. Sa sévérité peut, au premier abord, paraître inhumaine, excessive. Mais c’est aux imperfections qu’elles’applique, non point à l’homme même, que Rivière prétend forger. On sent, à travers cette peinture, toute l’admiration de l’auteur. Je lui sais gréparticulièrement d’éclairer cette vérité paradoxale, pour moi d’une importance psychologique considérable : que le bonheur de l’homme n’est pasdans la liberté, mais dans l’acceptation d’un devoir. Chacun des personnages de ce livre est ardemment, totalement dévoué à ce qu’il doit faire, àcette tâche périlleuse dans le seul accomplissement de laquelle il trouvera le repos du bonheur. »
André Gide dans la Préface à Vol de Nuit.