Dissertations
L’approche psychanalytique du désir. Lacan
À travers sa référence à l’hypothèse d’un inconscient, Freud a entendu exprimer une conviction relative à l’ensemble de notre vie mentale. Il existe, tel est au fond le principe de toute la psychanalyse, « une série de processus psychiques » qui ne peut être expliquée que par le refoulement de certains désirs et leur retour à la conscience sous uneforme déguisée : de ces processus, le rêve est pour nous le plus familier et le plus anodin. Mais s’y ramène également «la production des symptômes hystériques, angoisses, obsessions, démences, etc. (Le Rêve et son interprétation, Idées, p. 84). À tous ces processus s’appliquerait ce qui vaut pour celui d’où naît le rêve : « Ils sont les réalisations voilées de désirs refoulés » (p. 92). Ainsifaudrait-il retenir de la psychanalyse qu’une conception de notre subjectivité ne saurait aujourd’hui faire l’économie de ce que Freud appelle une « philosophie du refoulement » (p. 96), capable de manifester qu’il existe en nous « deux fonctions créatrices de pensée » : la première fonction correspond aux opérations mentales par lesquelles se produisent des pensées qui deviennent d’emblée une « partde la conscience » ; la seconde fonction, plus mystérieuse, est celle qui « reste inconsciente » ou n’atteint la conscience que sous la forme de ces « retours du refoulé » à la faveur desquels des désirs non réalisés et rejetés hors de la conscience y font néanmoins irruption en se déguisant.
Une telle philosophie du refoulement repose tout entière sur une philosophie du désir que Freud a laisséeen pointillé. Elle consisterait au fond à faire du désir et du principe auquel le désir obéit (chercher le plaisir de sa satisfaction, éviter le déplaisir de la frustration) la puissance génératrice de toute la vie psychique : autour du refoulement se construisent en effet les différentes instances (le moi, le ça, le surmoi) dont les relations et les conflits sont au cœur de notre existence, desactes les plus insignifiants jusqu’aux productions spirituelles les plus élevées. Au point qu’il n’était pas inenvisageable, à partir de ce que Freud avait ainsi mis en place, de considérer que la subjectivité tout entière se construit à partir de la dynamique du désir. De la même façon, la « libido », c’est-à-dire l’énergie des tendances sexuelles, connaît, dans la formation du psychisme, uncertain nombre d’investissements et de déplacements sans lesquels nous ne serions pas psychiquement structurés comme nous le sommes. Expliciter les modalités de cette structuration de la subjectivité à partir du désir a été la principale tâche à laquelle s’est attaqué le fameux psychanalyste Jacques Lacan (1901-1981), à travers des travaux publiés pour la plupart durant les quinze dernières années desa vie. À l’aide des précisions apportées par Lacan sur cette dimension s importante du désir de l’enfant que constitue le complexe d’Œdipe, on peut aisément apercevoir à quelle philosophie du désir nous confronte l’héritage freudien.
Lacan distingue en fait dans ce complexe, qui se développe dès la prime enfance, trois moments du désir de l’enfant (Séminaire sur « les formations de l’inconscient», compte rendu du Bulletin de psychologie, 1956-1957).
Le premier d’entre eux peut être décrit (Lacan le fait lui-même) dans les termes, qu’on a évoqués ci-dessus, de la Phénoménologie de l’esprit : le désir ne peut exister, expliquait Hegel, qu’er se redoublant, en se faisant désir du désir d’un autre. Reprenant ce modèle, Lacan décrit l’enfant lors de ce premier moment; comme axé sur le « désirdu désir de la mère ». Visant à être tout pour elle, il cherche à s’identifier à l’objet du désir de la mère, qu’il suppose être le phallus. Dans cette relation à la mère, qui est donc encore très fortement dominée par l’imaginaire (puisqu’il s’agit de s’identifier à l’objet supposé ou imaginé du désir de l’autre), la subjectivité de l’enfant tend toute entière à se poser comme une chose, à se…