La théorie de la justice sociale dans la république de platon. un commentaire de la controverse heinaman – vlastos

Notre propos sera ici de nous attarder sur une controverse à propos de la théorie de la justice sociale dans La République . Gregory Vlastos, dans deux articles qui font désormais référence , a défendu l’idée que, pour Platon dans La République, la justice sociale était régie par un principe de réciprocité fonctionnelle : « All members of the polis have equal right to those and only thosebenefits which are required for the optimal performance of their function of the polis. » . Cette réciprocité fonctionnelle trancherait alors avec la justice distributive chère à Aristote et à la tradition méritocratique. C’est précisément ce point que critique, dans un article plus récent , Robert Heinaman. Il va chercher à montrer, à l’aide d’une lecture minutieuse des positions de Vlastos et du corpusplatonicien, que le cœur de la justice sociale platonicienne est en réalité la justice distributive. Ce n’est selon lui qu’au prix d’une telle compréhension qu’il est possible de rendre compte de tous les aspects de la lettre de Platon. Quelle théorie de la justice adopter? Quelle est la portée des critiques de Heinaman ? Quelles sont les difficultés internes propres aux deux modèles ? C’est àces questions que nous devons nous attarder à présent. Nous tâcherons d’évoquer les points principaux de cette controverse, les contraintes de l’exercice nous empêchent d’être exhaustif, et de montrer la tension entre les deux modèles de justice au cœur même du texte de La République.

Il s’agit donc de déployer une opposition entre deux modèles de justice sociale qui traverse La République. Lepremier, défendu par Vlastos, est appelé principe de réciprocité fonctionnelle. Il consiste en une répartition optimale des moyens en vue de la plus parfaite exécution des tâches de chacun, tâches réparties entre les citoyens en fonction de leurs capacités relatives, c’est ce que l’auteur qualifie, pour abréger, de « doing one’s own » . Ainsi, ce n’est plus le mérite qui détermine la répartitiondes gratifications, comme dans la justice distributive (Heinaman parle à ce propos d’égalité proportionnelle) mais bien le rapport de chacun à sa tâche. Il sera alors juste d’allouer à chacun l’exact nécessaire pour effectuer sa tâche propre dans la Cité. Mais, bien entendu, ce principe de répartition global des gratifications ne suffit pas à forger une théorie complète de la justice sociale. Lavertu n’est jamais bien loin. C’est la place de la vertu dans l’interprétation de Vlastos qui va constituer la première porte d’entrée aux critiques de Heinaman.
La première partie de l’article de Vlastos « Social Justice » est consacrée à une clarification sémantique du grec « dikaiosune ». S’agit-il de la justice proprement dite ou de la vertu ? L’auteur montre alors que si la dikaiosunepourrait dans un premier temps être considérée comme une vertu car son examen suit celui des trois autres vertus (sagesse, courage et modération), elle désigne en réalité la justice en son sens étroit. Vlastos mobilise ici la définition de la dikaiosune en 433e : « on reconnaît que la justice consiste dans la possession de ce qui est en notre propriété [having one’s own] et dans la pratique de notretâche propre [doing one’s own] » . La dikaiosune serait alors bien un principe global de répartition des tâches et gratifications, elle ne saurait, par conséquent, être comprise dans un sens trop large qui engloberait la vertu. Vlastos semble donc écarter la vertu de toute définition de la justice.
Heinaman pointe alors une contradiction dans la pensée de Vlastos. Si la théorie de la justice socialechez Platon est bien régie par le principe de réciprocité fonctionnelle, alors il suivrait nécessairement une identification relative entre justice et vertu. Pourquoi avance-t-il cela ? Le principe de réciprocité fonctionnelle a pour fondement le « doing one’s own ». Chacun doit effectuer au mieux sa tâche propre. Or cette tâche, nous dit Vlastos, ne saurait être simplement comprise comme un…