Le problème du corps et de l’ésprit
La « croix des philosophes » :
le problème du corps et de l’esprit
Introduction
Rappel du problème
Nous nous sommes posé une question : qu’est-ce que l’homme ? Autrement dit, quel est le « propre » de l’homme ? Nous avons choisi d’examiner l’une des réponses apportées à cette question, la réponse humaniste. Pour ce mouvement de pensée (dont on voit qu’il court tout au long de l’histoire etne se limite pas à la période de la Renaissance) l’homme se définit par la liberté. Il est « l’animal doué de libre-arbitre ». Au cours de nos analyses il nous est apparu que cette différence supposait la raison. Si l’homme n’est pas un animal comme les autres, c’est qu’il agit selon la raison, tandis que les (autres) animaux suivent leur instinct. Pour mieux comprendre cette thèse nous noussommes tourné vers la pensée de Descartes. Pour lui, en effet, c’est parce qu’il est doué du libre-arbitre que l’homme peut-être dit « à l’image et à la ressemblance de Dieu » – et en cela différent des animaux.
Descartes face aux critiques
Mais la thèse défendue par Descartes ne rencontre-t-elle pas des obstacles ? Indépendamment de la question de Dieu, dont on peut ici faire abstraction, peut-on,ainsi qu’il le fait, distinguer si radicalement l’homme de l’animal et affirmer que le fondement de cette distinction est son libre arbitre ? C’est à cette question que nous allons consacrer les deux prochains cours. Le premier (celui que je vous donne ici) portera essentiellement sur la question de l’animalité, le second se consacrera, à partir d’une lecture de Freud, plus spécialement à laquestion du libre-arbitre. Mais il va de soi que s’interroger – et dans une certaine mesure affirmer – l’animalité de l’homme revient, peut-être, non à nier mais du moins à ramener à plus de modestie l’idée que nous nous faisons de notre liberté.
La question du corps et ses enjeux
Si je me découvre au terme de cette deuxième méditation comme conscience, faut-il pour autant me réduire à celle-ci ? Nesuis-je que cette conscience ou, dans les termes de Descartes, une chose pensante ? Il n’est pas besoin de réfléchir longtemps pour voir combien une telle réduction est absurde, contraire à ce que nous vivons. A l’évidence je ne suis pas un pur esprit : je suis incarné. On ne saurait décrire la condition humaine en faisant abstraction de sa corporéité. Mais, à vrai dire, Descartes n’ignore pas quenous avons un corps. Loin de là. Le corps joue un rôle essentiel dans son œuvre, il en est même l’un des problèmes les plus importants et les plus complexes. Il est par conséquent nécessaire de reprendre à nouveau frais notre analyse.
Nous allons voir que la façon dont Descartes pense l’union de l’âme et du corps est extraordinairement problématique et pour tout dire contradictoire. C’est cettecontradiction qui nous conduira à refuser son modèle pour en proposer un autre. Le problème est important, car il nous poussera à penser le rapport de l’homme à l’animal autrement que ne le faisait Descartes. Nous verrons l’homme se rapprocher de l’animal, reprendre sa place au sein des vivants. La vision de l’homme élaborée par Descartes s’en verra ébranlée.
I. Le corps et l’esprit : leur unioncomme problème
I.1. La certitude de l’esprit et l’expérience du corps
Que savons-nous ? Que nous sommes une chose pensante, autrement dit que la conscience définit au plus profond notre être dans la mesure où elle régit notre rapport au monde et à nous-même. Mais ne sommes-nous que cette chose pensante que nous savons avec une absolue certitude être ? Que nous apprend l’expérience ?
« Touteconscience, disait Husserl, est conscience de quelque chose » : la conscience est intentionnelle : elle vise toujours et par essence quelque chose. Si donc nous sommes conscient c’est que nous avons conscience de quelque chose. Or, de quoi avons-nous conscience ? Ou, si l’on préfère que percevons-nous ? Nous nous apercevons-nous même : j’ai conscience de moi-même, et c’est d’ailleurs pourquoi je…