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1. Gaston Bachelard, Valeur morale de la culture scientifique.
« Le mathématicien Henri Poincarré, dans des pages célèbres, prétendit apporter une raison péremptoire pour séparer l’activitéscientifique et l’activité morale. Cette raison serait d’ordre grammatical. Les prescriptions de la science, disait-il, se mettent au mode indicatif. Les prescriptions de la morale se mettent au modeimpératif. Or, il est facile de montrer que le dilemme n’est pas absolu et qu’aucun de ses deux pôles n’est aussi fixe que Poincarré veut bien le dire. Ce qui est le plus remarquable, c’est que ce soit unmathématicien qui ait paru négliger le caractère normatif de la science. Dès qu’on arrive à raisonner une activité morale, en considérant la moralité comme la base raisonnable de la sociabilité, on se rendbien vite compte qu’on ne raisonne pas différemment que dans une activité scientifique. La théorétique morale relève donc d’une activité rationnelle. Elle a beau s’attacher à une matière sociale,elle en discute appuyée sur des principes rationnels, tout comme le physicien qui prépare et discute les hypothèses rationnelles qu’il soumettra ensuite au contrôle de l’expérience. La morale est ainsiune partie de la raison constituée. Si Henri Poincarré a scindé l’activité humaine en suivant les modes grammaticaux, c’est qu’il a considéré la science comme un enregistrement de faits, comme unetâche qui demanderait la description d’une réalité toute faite. Il n’y a pas plus de réalité toute faite en science qu’en morale. Le problème change de face quand on considère la valeur réalisante de lascience et de la technique qui commandent à la nature, quand on voit toute la puissance de réalisation de l’expérience physique. On s’aperçoit alors qua la matière obéit à l’esprit. Comment dès lorsl’esprit n’obéirait-il pas à l’esprit, la conscience morale à la raison ? Quelle soudaine timidité nous prend devant l’information rationnelle, à une conduite morale entièrement appuyée sur la…