La cloche fêlée

-1Baudelaire: La Cloche fêlée.

Sonnet 58 de la section Spleen et Idéal des Fleurs du Mal.
Sur Spleen et Idéal: Dans cette première partie des Fleurs du Mal, le poète décrit son déchirement entre la recherche incessante d’un idéal perdu et son enlisement dans « l’ennui » et le spleen. Le spleen traduit la multitude de ses souffrances, morales et physiques; cet état découle d’une prise deconscience de la malédiction de la nature de l’homme. Les poèmes de cette section traduisent la lutte entre la quête de l’Idéal et le spleen, ce dernier devenant peu à peu le maître. Quatre poèmes portent ce titre, ils se situent dès la première édition des Fleurs du Mal à la suite de La Cloche fêlée, qui devait initialement s’intituler « Le spleen ». Le poète qui a tenté désespérément de s’élever versl’idéal est sans cesse arrêté dans son élan par le réel. Cet échec aboutit au découragement , au sentiment que la nature humaine est irrémédiablement déchue et que tout effort libérateur est inutile.
Ce sonnet exprime ce sentiment douloureux du mal de Baudelaire: une impression d’étouffement, le sentiment d’une impuissance insurmontable à créer voire à vivre.

Structure du poème: sonnet quirespecte dans sa construction générale les canons de la forme. Cependant on relève quelques indices de modernité dans la répartition des rimes (différentes dans les quatrains ) et une licence (la « rime normande » du vers 3).Il est clairement construit en deux parties: les deux quatrains exprimant un sentiment de nostalgie, les deux tercets traduisant le mal du poète et son étouffement.Problématique: par quels moyens Baudelaire parvient-il à nous communiquer sa nostalgie et son malaise?

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I. Nostalgie.

Le titre nous annonce d’emblée l’image d’un objet abîmé, ayant perdu sa fonction première: la cloche fêlée ne peut plus remplir sa mission. Les deux premiers quatrains reposent sur l’évocation de moments perdus.

a. Un décor et une atmosphère qui semblent rassurants.
Le poètenous installe dans une atmosphère close, à l’abri de l’hiver et du brouillard, dans la chaleur d’un « feu qui palpite et qui fume ». Les allitérations (f, q, p) imitent le crépitement d’un feu dans la cheminée. Le lexique aux connotations positives accompagne ce sentiment: « doux », « palpite », « chantent », « bienheureuse », « vigoureux », « alerte et bien portante », « fidèlement ». A noter le champ lexical dela vie et de la vitalité.

b. Les correspondances.
A ce sentiment de sécurité et de vie s’associe le champ lexical de l’ouïe, avec des références à des sonorités de plus en plus fortes: « écouter », « palpite », « bruit des carillons » « gosier », « cri ». Cette vigueur des sons trouve son apogée dans le deuxième quatrain après un crescendo: d’abord le son étouffé par l’hiver et la brume, le son légerdu feu qui palpite, puis les carillons lointains, enfin la cloche vigoureuse. Cette montée en puissance est mise en valeur par la rupture dans le rythme: enjambement et rejet au vers 6 pour aboutir à l’exclamation du vers 8 dans lequel on retrouve l’allitération en « q ».

c. Une évocation nostalgique.
Cette évocation des deux premiers quatrains porte cependant en elle la marque d’une tristesseet d’un regret: dès le premier vers, l’alliance des deux adjectifs contradictoires exprime un sentiment complexe; « amer et doux » traduit le plaisir mêlé de douleur; impression reprise au vers 3 par « les souvenirs lointains »: évocation de la réminiscence de moments perdus. Le choix de l’hiver et de la brume est symbolique d’un bonheur menacé ou finissant. Enfin, la « vigueur de la cloche est nuancéepar la concession « malgré » et la reprise des termes « vieillesse », « vieux » (qui trouvent un écho sonore dans le verbe « qui veille »): cette cloche elle-même est menacée par le temps. Aux allitérations citées précédemment se mêlent des sonorités sourdes (assonances nasales et allitérations en sifflantes) qui annoncent la deuxième partie du poème.

II. Malaise et étouffement.

Le pronom de…